Citations sur La peur du noir (8)
Ici, c'est la nuit, le noir, rien d'autre. Pas de décor. Ici, c'est dans notre tête. Comme un rêve, un fantasme aveugle. Demain, plus tard, on aura l'impression d'avoir rêvé. On fermera les yeux pour s'y croire encore, rien n'aura existé vraiment Tu ne seras que la maîtresse d'une ombre, et moi l'amant d'un songe... C'est peut-être ça, apprivoiser le noir, non ?
Tu sais que j'en ai rêvé souvent, de tes seins, de les prendre à deux mains, de les ramener sur mon visage, de m'y enfouir, d'y perdre le souffle ? De les mordre, de les lécher, de les téter, de les peser encore et encore, de les comparer. Lequel est le plus lourd, celui-là ? Celui-là ? Lequel le plus chaud, le plus doux, le plus rond, le plus sucré ?...
C'est vrai que j'ai toujours eu peur du noir. De tout petit. Ça m'angoissait, ça m'étouffait. Tu as eu l'air de considérer que c'était remédiable. Que mon affolement devant ce qui m'arrivait - un enfant peut-être aveugle - était exagéré. Tu as aussi eu l'air de considérer qu'il était important que je reste. Que j'assume. Alors, oui, bien, c'est vrai, tu as raison. Je vais assumer, comme un grand. Mais je dois commencer par là : exorciser les ténèbres, les fréquenter, les connaître.
« Le nerf optique, c'est les yeux ? ». Les docteurs acquiescèrent, à regret, accumulèrent les « mais », les « si », les conditionnels, les « il se pourrait », prirent d'infinies précautions oratoires, soulignèrent l'incertitude de leur diagnostic, la faillibilité du scanner, les progrès inouïs de la science...
Qui est doué pour le remords l'est pour la rancune.
On peut faire, enfin, nous, les femmes, nous pouvons faire beaucoup de choses par pitié. Ensuite, en ce qui me concerne, hier, c'est vrai, ce n'était pas que cela. Ce n'était pas cela du tout, même. C'était... Ça me coûte de le reconnaître, c'est si bête. C'est... Quand tu m'as dit «Tu es belle, Jeanne». Voilà. J'ai vacillé à ce moment-là. Après cette journée, après tout ça, me retrouver avec un homme, et qu'il me dise «Tu es belle, Jeanne».
J'ai appris cette nuit, parmi tout un tas de trucs, la forme des bouteilles, ça me semblait capital. Le porto est court et renflé, le whisky, facile, carré, le martini, long, j'ai encore...
« Qu'est-ce que c'est donc, apprivoiser le noir ? », elle s'entendit expliquer de très loin, comme d'au-delà d'elle-même : « C'est apprendre à voir sans ses yeux, avec ses mains, sa bouche, son nez, ses oreilles, et tout son corps ».