Théâtre sans animaux suivi de Sans m'en apercevoir

LE PERE. Liliane, il faut que tu comprennes une fois pour toutes que je ne suis pas uniquement un paquet de viande enveloppé dans un peignoir de bain, j'ai aussi une âme, un instinct, et une spiritualité matinale très développée que, c'est vrai, j'ai toujours essayé de cacher pour ne pas avoir l'air trop différent des habitants de la Creuse qui sont disons... terriens...
(DIMANCHE)

Un salon. Le père lit le journal. La fille traverse la pièce. Sans quitter son journal des yeux, le père l'appelle.

LE PÈRE. Monique ?

LA FILLE. Oui papa.

Le père baisse son journal et regarde sa fille étrangement.

LE PÈRE. Je peux savoir pourquoi tu me réponds quand je t'appelle Monique ?

LA FILLE. Pardon ..?

LE PÈRE. Tu as parfaitement entendu ma question.

LA FILLE. Je ne l'ai pas comprise, papa.

LE PÈRE. Quand je dis "Monique", pourquoi te retournes-tu vers moi ?

LA FILLE. Tu veux rire, papa ?

LE PÈRE. Oh, pas du tout, ma petite fille, mais alors pas du tout...

[Au musée] : - Sublime, ce portrait, c'est sa femme ?
- Non, sa maîtresse.
- ça m'aurait étonné aussi.

Sagesse : comportement éloigné des audaces et des outrances. Tempérance, réserve et discernement dans ses actions. Connaissance et science telles que les concevaient les Anciens : "La sagesse est un bien, l'ignorance un mal". Platon. "Le doute est le commencement de la sagesse". Aristote. "Le vrai courage c'est la sagesse". Euripide. " Le plus sage est celui qui ne pense point l'être". Boileau. "Le Monde avec lenteur marche vers la sagesse". Voltaire.
(p.30)

- Finalement, l'art moderne il est né à Lascaux
- Et l'art ancien ?
- T'es fatigant, Jean-Paul.

- Mozart est mort à trente-sept ans, Chopin est mort à trente-sept ans...
- Raphaël aussi !
- Exact. Qu'est-ce qui est mort à trente-sept ans encore ?
- Le Christ.
- Le Christ, parfaitement.
- C'est un âge difficile pour les artistes.

- Gérard, à quoi on reconnaît un chef-d'oeuvre ?
- Nous on peut pas.
- Pourquoi ?
- On est visiteurs, chacun son métier.
- Ah OK !

PAUL. Et ça ?

VIVIEN. Quoi ?

PAUL. Cette carte postale que vous m'avez envoyée de votre lieu de vacances l'été dernier.

VIVIEN. Eh bien ?

PAUL. Lisez-la.

VIVIEN (lisant). "Mon cher Paul. Ici il fait beau. Je me baigne. J'espère que vous allez bien. Amitiés. Vivien."

PAUL. Vous n'avez pas l'impression que votre pensée se soit un tantinet gourée d'itinéraire ?

VIVIEN. C'est-à-dire ?

PAUL. Qu'elle ait raté le bras et se soit dirigée vers la jambe et que vous ayez fini par écrire avec vos pieds !

ANNE. Et si on faisait demi-tour.

LILI. Qu'on retourne en arrière ?

ANNE. Oui.

LUC. Vers la carpe ?

ANNE. Oui.

KARL. Elle est loin, Anne, très loin, même pour toi.

ANNE. Non, mais doucement... tout doucement, comme ça tu vois... en ondulant un peu... sans forcer... en essayant de se rappeler... Regarde, tu vois comme ça revient... (imperceptiblement, tous les cinq se mettent à onduler)... tu sens comme on devient superficiel... tu sens ?

KARL. Pas beaucoup.

ANNE. Mais un peu...

RICHARD. Un peu c'est vrai.

ANNE. Doucement... Ne frétillez pas... Laissez le ventre mou...

LUC. C'est drôle, j'ai des souvenirs d'algues...

LILI. Tout est plus facile, on dirait.

ANNE. On va se diriger lentement vers le grand bassin là-bas, dehors, sur la place...

LILI. Merci Anne, merci !

ANNE. Laissez-vous porter par le courant...

LUC. On abandonne tout ?

LILI. Non, tu peux emporter une côte de porc.

KARL. ça y est ça vient, je me sens rieur.

RICHARD. Moi aussi tout me paraît drôle.

LILI. On est mieux, Nom de Dieu ça s'arrange !

ANNE. On n'est pas les plus heureux ?

LUC. J'ai l'impression que si !

ANNE. Vous allez voir, je suis sûre qu'ils vont se remettre à nous peindre...

Ils se laissent emporter par une vague et disparaissent du musée.

ANNE. Une fois à la surface, bien sûr, on a nagé jusqu'à la plage et comme l'intelligence ça ne sait pas s'arrêter, à peine sur le sable c'était parti, on est devenu Aristote, Confucius, Voltaire et toute la bande... Résultat voilà où on est : dans un musée, un samedi après-midi, à se prendre la tête au lieu de rigoler à la piscine !