Je pense à toutes les souffrances que je lui ai causées [à ma mère]. L'angoisse, toute sa vie. Je me dis des fois que le plus grand malheur est à l'arrière... On se défonçait pour quelques grandes idées qui nous avaient conquis et donnaient un sens à nos vies, mais pour l'arrière, les mères, les soeurs, tout ça restait souvent un mystère. Pour les mères, les soeurs, les femmes, les enfants, la vie était toute autre... [...] Il m'a fallu des années pour comprendre pourquoi ses yeux brillaient : à cause des larmes...
(p. 80-81)
Nous, en entrant au parti, quand on nous présentait un type comme "des nôtres", c'était un type extra, un frère à la vie à la mort. Seulement voilà, l'homme est plein de recoins, il trimballe plein de trucs au fond de lui-même et tout ça ne change pas d'un seul coup, rien qu'en prenant part à un juste combat. Pour changer il faut d'autres efforts, et cette fameuse "direction" ne voyait pas plus loin que le bout de son nez... Au lieu de soutenir ses hommes, elle les brisait complètement, comme s'ils étaient engagés par contrat à vivre sans besoins, à se faire baiser toute leur vie sans avoir mal. La direction nous disait "Ne jurez pas, ne criez pas, ne réclamez pas", la morale communiste et tout le bazar... Un vrai pensionnat pour jeunes filles. Tu te rends compte, nous, des révolutionnaires, avoir pour code de conduite... les dix commandements ? Tout ce baratin bourgeois, on nous le servait sous forme de morale communiste et de conduite révolutionnaire.
(p. 8)
La vie est relative. La mort est absolue.
Je n’ai pas réussi à changer le système, mais je ne lui permettrais pas non plus de me changer
Il n’y a pas de solitude plus amère que le petit tas de fringues du fusillés
- Pendant toutes ces années où être communiste signifiait le peloton, la prison, la déportation, la torture, moi j'ai toujours été en première ligne, oui ou non?
- C'est comment ici?
- Un bordel sans nom, un vrai désastre. On est deux cents politiques et trois cents droits communs, tous mélangés. Le directeur est une salope bien nourrie, un ancien collabo des italiens. Le sous-directeur, un enculé qui doit s'enfiler trois narguilés le matin pour se réveiller.
Ce que signifiait notre signature pour leur Etat à la con, j’ai jamais pu comprendre. Qu’ils torturent pour faire avouer quelque chose, je comprends la logique. Ils ont peur, ils veulent se protéger… Mais une telle cruauté pour des signatures de trois mômes… Et pourtant, c’est ça qui nous a fait rester debout. Leur refuser ce qui leur semblait si important