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Critique de Christw


En 1940, Walter Benjamin écrit : «Le don d'attiser dans le passé l'étincelle de l'espérance n'appartient qu'à l'historiographe intimement persuadé que, si l'ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté.» Rainer Maria Rilke se doutait peu que son oeuvre serait un jour concernée par ce funeste augure du jeune philosophe, qu'il rencontra à Munich durant la Grande guerre.

En effet, Rilke écrit en 1899 un chant lyrique en prose sur l'héroïsme qui connaît un grand succès de librairie et la brochure est beaucoup emportée sur les fronts allemands. Mais après la mort de Rilke, alors que la guerre mécanisée ne justifie plus d'évoquer les anciennes valeurs guerrières ni guère de noblesse au combat, le poème continue de paraître sous le régime nazi.
La réception de l'oeuvre de Rilke se voit encore inquiétée par l'intérêt que le poète portait, tout en gardant une distance critique, à l'imaginaire de Alfred Schuler, devenu par la suite une référence pour l'élaboration du pseudo-paganisme nazi.

Malgré son exil volontaire en 1920 pour protester contre le nationalisme allemand, Rilke n'a pas manifesté ouvertement de position politique et son nom se voit abusivement utilisé par la propagande hitlérienne durant le second conflit mondial. Pour dénoncer cette usurpation, les fragments réédités qui nous occupent ici l'avaient été en 1944 par les éditions Émile Paul, traduits par Maurice Betz, pour rétablir dans sa pureté et sa vérité la figure du grand poète pragois.

Les fragments sont minces, dix pages et vous en venez à bout : "Nous avons une apparition" publié (octobre 1914) dans L'Écho du Temps (journal de guerre des artistes) et quatre lettres à des ami(e)s rédigées en 1914-15. Ces écrits disent la détresse de l'artiste – il choisira le désoeuvrement – et son indignation devant la barbarie et les mensonges guerriers; ils attestent que le poète fut un farouche opposant au conflit : «Pourquoi n'existe-t-il pas, cet homme unique, qui, ne pouvant endurer cela plus longtemps, refuserait de le supporter ? »

Le recueil est augmenté d'une présentation et de notes de Jean Tain qui s'avèrent très utiles pour comprendre et replacer les écrits dans l'époque. Ainsi l'allusion inattendue, pour définir une temporalité de la guerre, aux oeuvres du Gréco que le début du vingtième siècle redécouvre : «Lorsqu'on vous montra des tableaux du Gréco, vous comprîtes que c'était là l'expérience d'une vie que vous ne connaissiez pas», ou encore cette phrase énigmatique «...l'esprit le plus défini, dont jusqu'à présent on ne soupçonnait pas la présence, s'est manifesté en des chevaux», qui évoque les chevaux savants d'Elberfeld.

Maurice Betz, traducteur et ami de Rilke, connut le même avatar que celui-ci avec un écrit de captivité, "Dialogue des prisonniers", qui fut jugé acceptable par la propagande nazie, de même que le détachement du poète avaient permis sa récupération. On peut penser, comme l'esquisse Jean Tain, que ces fragments de guerre ont été une façon d'emprunter la voix de Rilke pour blâmer la guerre et «racheter quelque peu les risques de l'apolitisme qu'ils encoururent tous les deux.»

Plus prosaïquement, il faut malheureusement déplorer — c'est devenu fait courant chez les meilleurs éditeurs – les fautes d'orthographe qu'on oublierait peut-être s'il s'agissait de romans de gare, mais qui font tache lorsqu'il s'agit de textes qui ambitionnent le niveau littéraire. Page 34 : Betz n'a pas eut à se justifier... ; page 34 les risques qu'il encoururent tout les deux.

Remerciements à Babelio et Riveneuve éditions de m'avoir permis de découvrir ce livre.

Lien : http://christianwery.blogspo..
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