Au début de décembre, Karl et mon mari avaient déclaré qu'à Noël l'obscurité commencerait à se dissiper. Ils pourront maintenant promettre tout ce qu'ils voudront, je ne les croirai plus. C'est justement après Noël que la nuit polaire s'est transformée en ce néant effroyable, cette désolation totale qui fait chanceler l'esprit le mieux équilibré.
Depuis toujours, mon mari rêvait de vivre dans l'Arctique. A chaque mésaventure ménagère - court-circuit, fuite dans la salle de bains, querelle avec le concierge - et surtout à chaque augmentation de loyer, il affirmait que nous serions à l'abri de pareilles calamités si, au lieu d'un appartement citadin, nous habitions une cabane dans le Grand Nord.
Un jour, il réalisa son rêve. Après avoir participé à une expédition scientifique, il refusa de rentrer en Europe et demeura au Spitzberg. L'été, à bord de son canot à moteur, il se livrait à la pêche; l'hiver, il chassait sur la terre ferme des bêtes à fourrure. Ses lettres et télégrammes pouvaient se résumer en une seule phrase: "Boucle la maison et viens me rejoindre."