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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 # 35 °°°

Le titre ne laisse place à aucune ambiguïté. Lisa a menti lorsqu'elle a affirmé qu'elle avait été violée à quinze ans par Marco Lange, un ouvrier du bâtiment, lourdement condamné. le procès en appel doit avoir lieu, Lisa avoue tout à sa nouvelle avocate. Pascale Robert-Diard déplace donc les enjeux du suspense sur un autre terrain que celui de la culpabilité ou pas de Marco Lange qui a écopé d'une peine de prison de dix ans en première instance et croupit en prison  : pourquoi Lisa a-t-elle menti quatre ans auparavant ? Pourquoi a-t-elle accusé de viol un homme innocent ?

D'une plume alerte, fluide et concise, sans effet de manche ni fioriture stylistique, l'auteure, chroniqueuse judiciaire au Monde, ausculte brillamment les tréfonds de la nature humaine à travers les différents personnages : Lisa, les témoins ( amis et professeurs ), les parents, les jurés. le roman se lit comme un thriller psychologique qui tient en haleine. Même si on est effaré par le mensonge de Lisa et ses terribles conséquences, on veut comprendre. Progressivement apparaissent les faits qui ont conduit à ce fiasco judiciaire ou comment une jeune fille s'est retrouvé piégée dans un engrenage qui la dépasse.

Le récit avance sur les pas de l'avocate Alice Kéridieux, consciente que vérité et morale ne font pas toujours bon ménage. le lecteur partage son trouble et son malaise face à l'affaire. Ses interrogations, ses tâtonnements, ses vacillements sont les nôtres, ses contradictions aussi : la sourde crainte de l'épreuve qui attend Lisa qui a le courage de s'arracher à son rôle de victime ; le désir de la protéger de la tempête qui va s'abattre sur elle ; l'exaltation de réparer une erreur judiciaire qui a brisé un innocent. Mais aussi l'envie de la faire taire car Lisa dérange à l'ère post MeToo, alors que les femmes prennent de plus en plus la parole pour dénoncer les agressions sexuelles subies. Certains auraient préféré qu'elle se taise car son mensonge porte atteinte à la parole sacrée de la victime de crimes sexuels.

Au-delà de ces aspects très actuels, j'ai particulièrement apprécié l'acuité avec laquelle Pascale Robert-Diard radioscopie l'adolescence, sa laideur et sa violence telle qu'elle est vécue par certains. La déroutante Lisa a menti et avant elle a beaucoup souffert, elle la fille qui a eu des seins plus tôt que les autres, plus gros que les autres. le regard perfide des autres collégiens qui jugent et assènent, lui collant l'étiquette de la « petite salope du collège ».

Surtout, le roman initie une véritable réflexion sur la parole de la victime et son écoute. La vérité n'est jamais celle que l'on imagine et il est parfois bénéfique de remettre en question notre intime conviction.  Pascale Robert-Diard a le courage de sortir des sentiers battus en ne choisissant pas de présenter une victime « classique » qui aurait dit toute la vérité d'emblée sur l'identité de son agresseur, qui aurait été bien entendue et comprise par l'entourage familial, scolaire, policier et judiciaire. J'ai aimé cette prise de risque politiquement incorrecte qui ne plaira sans doute pas à tous les lecteurs mais permet d'apporter de la densité et de la complexité au récit, loin de tout manichéisme moralisateur. Forcément, c'est déstabilisant de voir nos certitudes et réflexes remis interrogés et c'est tant mieux.

Un roman passionnant et intelligent qui force à réfléchir, creusant avec finesse les ambivalences humaines, plongeant dans la psyché des personnages autant que dans une époque donnée. Peut-être aurais-je préféré que le personnage de Lisa conserve son opacité, comme celui de Lise dans La Jeune fille au bracelet ( excellent film de Stéphane Demoustier ) auquel j'ai pensé tout au long de ma lecture.

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