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Critique de 4bis


4bis
25 février 2022
Au diable les romans contemporains qui relèvent du produit marketing plus que de la création artistique m'étais-je dit. Je vais me faire un bon vieux classique de la littérature américaine. Quelque chose de grand. Et j'ai commencé La Tâche.
J'avais pour moi les souvenirs enthousiastes de Portnoy et son complexe que j'avais découvert quand j'avais une vingtaine d'années et qui m'avait subjuguée par sa drôlerie, sa crudité, son irrévérence. Je m'attendais, sinon à la même histoire, au moins qu'elle ait la même trempe.
J'ai été très déçue. Les chapitres s'étiraient tandis que je trouvais de plus en plus de prétextes pour faire autre chose qu'avancer dans ce roman. J'en ai presque regretté ces productions contemporaines dont le calibrage en chapitres courts permet au moins de faire correspondre son temps de lecture à, selon les circonstances, la durée d'un trajet entre deux stations de métro, le temps de réchauffer un petit plat ou la durée d'attention d'une lectrice étourdie. Avec La tâche et mon rythme de lecture, on aurait bien pu relier Birmingham à New-York en bicyclette le temps que je passe d'une partie à l'autre...
Le roman se déroule durant la fin des années 90 avec l'affaire Lewinsky en toile de fond. Il met en scène une galerie de personnages autour d'une université de moyen renom. Coleman Silk, 71 ans, tout juste veuf, juif, retraité et mal remis d'un scandale raciste entachant (vous l'avez ?) sa réputation, Faunia, 34 ans, frustre et courageuse femme de ménage à l'université aussi, qui deviendra la maîtresse de Silk et contribuera à auréoler le vieil universitaire d'un scandale supplémentaire. On a aussi Les Farley, l'ex de Faunia, qui n'était pas futfut avant le Viêt-Nam mais en est revenu dangereusement cinglé, Delphine Roux, universitaire d'origine française dont la libido contrariée vaut à Coleman bien des tourments et le narrateur, Nathan Zuckerman, parfait double du romancier, misanthrope soudain fasciné par cet ancien professeur d'université et son histoire tourmentée.
Au fil de l'intrigue, Nathan Zuckerman va dévoiler l'enfance et la jeunesse de Coleman, révélant des éléments qui remettront profondément en question l'identité qu'il s'était constitué tandis que sa liaison avec Faunia interroge les fondements d'une relation amoureuse réussie.
Bon. Ça peut promettre. le souci c'est que ça n'a pas tenu. Parce que, en dehors de Coleman Silk, son passé, ses choix troubles, sa vitalité, les passions qu'il suscite chez les uns et chez les autres, eh bien, c'est morne plaine. Là où la gallerie des personnages est pourtant bien fournie, ces derniers n'existent qu'en faire-valoir et selon un point de vue très très masculin. La défunte épouse de Coleman est réduite à sa chevelure et à son tempérament de feu, l'essence de Faunia réside dans son amour du sexe et Delphine Roux est une caricature d'hystérique frustrée. Et tout ce petit monde sert d'écrin à la figure névrosée mais attachante de l'homme blanc qui n'est en fait pas celui que l'on croit. Mouais.
Peut-être qu'au début des années 2000 ce roman proposait un discours neuf sur les normes, sur les motifs de discrimination et sur la manière dont l'Amérique excluait ses minorités. Peut-être que l'histoire de Coleman a pu surprendre et permettre au lecteur de prendre conscience du caractère jamais immaculé des trajectoires des uns et des autres.
Aujourd'hui, que l'ensemble de l'intrigue soit ramassé du seul point de vue du narrateur, un homme blanc, âgé et érudit qui se prend de passion pour la destinée de Coleman Silk fait de la Tâche un roman outrageusement bancal : il y manque au moins la moitié du monde, celui qui inclurait une vision qui ne soit ni mâle ni dominante. Et le pire, c'est que ça ne m'a pas paru être le moins du monde délibéré mais plutôt venir comme la confirmation que c'était là la seule façon possible de parler du monde. Roth a voulu, disent les critiques, commettre une trilogie sur les grands bouleversements d'après-guerre en Amérique. La tâche en est le dernier pan. Disons que c'est effectivement la peinture d'un temps… mais selon un regard lui-même terriblement daté.
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