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Critique de yueyin


L'écrivain des ombres marque la naissance d'un des plus fameux doubles littéraires de Philip Roth, le tout jeune écrivain Nathan Zuckerman, plus tard narrateur vieillissant de la trilogie américaine.
Le roman s'organise en quatre chapitres étrangement disparates et pourtant intimement lié autour d'un thème : la signification profonde de l'état, à moins que ce ne soit du métier ou encore de la fonction d'écrivain !
Dans le premier chapitre, le narrateur explore l'écrivain comme modèle, à travers sa rencontre avec son maître en écriture et s'attarde sur la distance qui se révèle entre l'homme et le personnage public ou rêvé lorsque passant de la lecture à la vie, l'élève "voit" réellement le maître.
Dans le second il s'attaque à une question en quelque sorte indissociable de l'oeuvre de Roth : Que signifie donc être un écrivain juif ? Peut-il rester lui-même et explorer son propre univers quand la communauté qui l'a soutenu, encouragé et porte d'une certaine façon son identité, l'investit de ses attentes et lui assigne, ou plutôt tente de lui assigner, des devoirs envers sa famille, sa communauté, mais aussi tous les juifs ? Questionnement qui trouve son point d'orgue lorsque la propre mère de Nathan, affolée par les réactions négatives à une nouvelle de son fils, lui demande tout bonnement s'il est vraiment antisémite. Se rendant compte à moitié de l'absurdité de la chose mais incapable de renier en bloc les opinions d'une communauté qui donne tout son sens à sa vie. Il n'y a que Roth pour vous faire rire avec un sujet pareil, à la fois absurde, profond, cynique et déchirant.
Le troisième chapitre permet à notre narrateur en plein délire de projeter la question sur une jeune femme qu'il a brièvement croisé chez son fameux "maestro". Il imagine sous le physique fascinant de la belle étrangère une Anne Franck rescapée de Belsen qui, apprenant sur le tard la survie de son père lors de la publication de son fameux journal, choisit de garder le silence pour laisser à son témoignage "posthume" toute sa force d'impact sur la prise de conscience post-holocauste. Quite à renier son identité et se condamner elle-même à une infinie solitude. Etrange avatar de l'agneau sacrificiel offrant son identité au monde d'après-guerre !
Le dernier chapitre enfin boucle la boucle et revient sur le quotidien du "célèbre écrivain" et ce qu'il peut avoir d'invivable pour son entourage. Est-ce cela finalement être écrivain : donner son temps et son âme à l'écriture en lui sacrifiant tout et d'abord ses proches ?
D'une construction plus rigide que les romans de la trilogie américaine, L'écrivain des ombres est dans un premier temps un peu destabilisant voire frustrant. le changement de focale à chaque chapitre prive de chaleur humaine les marionnettes de Roth, à l'exception notable de Zuckerman et de sa famille, et les maintient à mon sens à l'état d'archetypes. A l'arrivée pourtant, ces personnages mettent en scène une très belle réflexion sur le métier d'écrivain et sur la signification profonde d'un tel engagement envers soi-même, avec ses contraintes et ses ruptures. Remarquable !
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