Toutefois, en dépit de ma conviction, Amy avait la tête ailleurs. Mais la mienne, à vrai dire, était dans le même cas – retournée à New Jersey où s’était écoulée mon heureuse enfance. Être marié à vous, songeais-je, mon inattaquable avocate, mon invulnérable alliée, mon bouclier contre les accusations de désertion, de trahison, d’insouciance, de calomnie haineuse. Oh, épousez-moi, Anne Frank, exonérez-moi devant mes aînés outragés de cette charge stupide ! Inattentif à la sensibilité juive ? Insensible à la survie des juifs ? Cynique devant leur bien-être ? Qui oserait accuser de négligences aussi criminelles le mari d’Anne Frank ?
(in "Zuckerman enchaîné", "L’écrivain fantôme", p. 156, Folio)
Je combine des phrases, voilà ma vie. J’écris une phrase et je la décortique. Puis je l’examine et je la retourne encore. . Ensuite, je vais déjeûner. Ensuite, je reviens et j’écris une autre phrase. Ensuite, je prends le thé et je remanie cette phrase. Ensuite, je lis les deux phrases et les recompose encore. Ensuite, je m’allonge sur mon canapé et je réfléchis. Ensuite, je me lève, bazarde mes deux phrases et recommence à zéro.
Le matin où le journal était apparu aux éventaires, j’avais bien dû lire cinquante fois les paragraphes consacrés à « N. Zuckerman ». Je m’étais efforcé de m’atteler à ma machine pour les six heures de travail que je m’imposais mais sans résultat ; je reprenais la revue et contemplais ma photo toutes les cinq minutes. Je ne sais pas trop quelles révélations j’attendais de cet article – l’orientation de mon avenir, sans doute, les titres de mes dix premiers livres – mais je me souviens que cette photographie d’un jeune écrivain pénétré et sérieux jouant si doucement avec un petit chat et vivant, était-il précisé, dans un vieil immeuble sans ascenseur de quatre étages au Village avec une jeune ballerine, risquait d’inspirer à un certain nombre de femmes grisantes l’envie de prendre la place de celle-ci.
Je combine des phrases, voilà ma vie. J’écris une phrase et je la décortique. Puis je l’examine et je la retourne encore. . Ensuite, je vais déjeûner. Ensuite, je reviens et j’écris une autre phrase. Ensuite, je prends le thé et je remanie cette phrase. Ensuite, je lis les deux phrases et les recompose encore. Ensuite, je m’allonge sur mon canapé et je réfléchis. Ensuite, je me lève, bazarde mes deux phrases et recommence à zéro.