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Critique de LaSalamandreNumerique


Un homme est un court roman (moins de 180 pages chez Folio) que je trouve très marquant. Il commence par « autour de la tombe… » et se termine par « Arrêt cardiaque. Il n'était plus. Affranchi de l'être, entré dans le nulle part, sans même en avoir conscience. Comme il le craignait depuis le début ». Donc ne vous attendez pas à un moment d'amusement intense.
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Ce livre est construit autour d'un personnage central, âgé, jamais nommé et qui réfléchit à son existence passée et présente. Il est construit, ce qui est rare, autour des expériences physiques du corps et, plus particulièrement, des maladies. Nous assistons donc à l'ensemble des problèmes de santé du narrateur, de celui qui manqua de le tuer enfant jusqu'au dernier, celui qui l'emportera. Par différents aspects il est difficile de ne pas penser à « La mort d'Ivan Ilitch » en lisant Roth.
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Ce qui est remarquable ici, en dehors du choix de faire porter ce récit sur la vie du corps, est que cet homme peut être chacun de nous. Il vit d'abord une enfance assez heureuse avec ses parents et un frère ainé. Ensuite il se construit une vie professionnelle plutôt réussie selon les critères habituels, devenant un publicitaire reconnu et bien payé. Sa vie affective est un peu plus chaotique sans être extraordinaire puisqu'il se marie une première fois, a deux fils et divorce par amour. de ce second mariage, heureux, naîtra une fille qui l'adorera jusqu'à la fin. Il se remariera une troisième fois vers 50 ans, ayant été attiré, avant tout sexuellement, par une jeune et belle femme de 24 ans, bien peu capable dans les autres domaines et dont il se séparera au final. Il aura aussi quelques maitresses, plus ou moins marquantes. Cet homme a d'autres passions, la principale étant la peinture, qu'il tentera de vivre plus intensément une fois à la retraite. Il aime aussi la natation et est raisonnablement sportif, du moins tant que sa santé le lui permettra.
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Je trouve saisissant deux éléments majeurs :
- D'une part cet homme a une vie banale, dans les faits mais aussi sur le plan des vécus intimes. À l'orée de la mort il constate que ses deux premiers fils le haïront toujours pour avoir quitté le domicile conjugal partagé avec une femme qui ne l'aimait pas et qu'il n'aimait pas. Assez lucidement il s'en attriste sans parvenir à s'en sentir profondément coupable ni à ressentir une grande affection pour ces fils cinquantenaires somme toute peu sympathiques. Sa fille l'adore et il s'en réjouit, pour autant cela ne saurait remplir sa vie. Il est assez fier de son parcours professionnel mais sans lui attribuer une importance démesurée. Il accorde, comme beaucoup de personnes lorsqu'elles vieillissent, une part conséquente de ses souvenirs à son enfance mais combien de temps peut-on vivre intensément dans le seul passé ? Il tente de se réaliser comme peintre pour devoir finir par s'avouer que, s'il n'est pas mauvais, il n'a pas de talent majeur. Il repense aussi à sa vie amoureuse et sexuelle, avec regrets mais sans que cela soit d'une grande intensité là encore
- Roth montre admirablement combien le vieillissement et la maladie vont progressivement et inéluctablement restreindre le périmètre vital du narrateur, le contraignant progressivement à des renoncements croissants dans différents domaines : séduction et vie sexuelle, vie sportive, soins croissants à accorder à son corps, hospitalisations, perte progressive de nombreux amis, jalousie par rapport à un frère profondément sympathique car ce dernier, pourtant l'aîné, jouit d'une santé « de fer ». D'une certaine façon et comme chacun d'entre nous en son temps cet homme aura commencé à mourir, à lui-même et aux autres, bien avant son décès.
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Ce qui est profondément troublant mes yeux est donc ce mélange d'une existence somme toute à la fois riche et « assez réussie » selon les critères les plus acceptés socialement même si imparfaite par ailleurs, de l'absence de sens et d'intensité de cette dernière pour qui l'aura vécue et d'un naufrage final, inéluctable et sans aucune surprise.
L'ensemble dégage avant tout une impression de profonde vacuité, l'impression d'un triste gâchis.

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Au-delà de la qualité d'écriture de Roth, de l'intérêt sociologique et psychologique indiscutables de ce roman je trouve qu'il incite à réfléchir à l'essentiel. le terme étant connue et, très largement, prévisible quant au naufrage inéluctable qui précédera l' "extinction des lumières » quel sens profond chacun d'entre nous va-t-il choisir de donner à son existence, précieuse et singulière, pendant qu'il le peut encore ?

« Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide »

Faut-il se résigner à être juste « un homme », un de plus ? Et sinon, que vivre ?
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