Citations sur Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité p.. (90)
Telle fut la condition de l'homme naissant; telle fut la vie d'un animal borné d'abord aux pures sensations. et profitant à peine des dons que lui offrait la Nature, loin de songer à lui rien arracher; mais il se présenta bientôt des difficultés; il fallut apprendre à les vaincre: la hauteur des arbres qui l'empêchait d'atteindre à leurs fruits, la concurrence des animaux qui cherchaient à s'en nourrir, la férocité de ceux qui en voulaient à sa propre vie, tout l'obligea de s'appliquer aux exercices du corps; il fallut se rendre agile, vite à la course, vigoureux au combat. Les armes naturelles qui Sont les branches d'arbre et les pierres, se trouvèrent bientôt sous sa main. Il apprit à surmonter les obstacles de la Nature, à combattre au besoin les autres animaux, à disputer sa subsistance aux hommes mêmes, ou à se dédommager de ce qu'il fallait céder au plus fort.
Toute idée générale est purement intellectuelle; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitô+ particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le dis-cours. La définition seule du Triangle vous en donne la véritable idée : Sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel Triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des proposi-tions, il faut donc parler pour avoir des idées géné-rales; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. Si donc les premiers Inventeurs n'ont pu donner des noms qu'aux idées qu'ils avaient déjà, il s'ensuit que les premiers substantifs n'ont pu jamais être que des noms propres.
[…] la Société n'offre plus aux yeux du sage qu'un assemblage d'hommes artificiels et de passions factices qui sont l'ouvrage de toutes ces nouvelles relations, et n'ont aucun vrai fondement dans la Nature.
La plus aveugle obéissance est la seule vertu qui reste aux esclaves,
Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible; qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'etre point maltraitée par l'autre.
"Je conçois dans l’espèce humaine deux sortes d’inégalités : l’une, que
j’appelle naturelle ou physique, parce qu’elle est établie par la nature, et qui
consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des
qualités de l’esprit ou de l’âme ; l’autre, qu’on peut appeler inégalité morale
ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle
est établie ou du moins autorisée par le consentement des hommes. Celle-ci
consiste dans les différents privilèges dont quelques-uns jouissent au
préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants
qu’eux, ou même de s’en faire obéir."
"Le sauvage vit en lui-même; l'homme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l'opinion des autres, et c'est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu'il tire le sentiment de sa propre existence."
"Il est incontestable, et c'est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir."
Le politique le plus adroit ne viendrait pas à bout d'assujettir des hommes qui ne voudraient qu'être libres.
Et comment l'homme viendra-t-il à bout de se voir tel que l'a formé la nature, à travers tous les changements que la succession des temps et des choses a dû produire dans sa constitution originelle, et de démêler ce qu'il tient de son propre fonds d'avec ce que les circonstances et ses progrès ont ajouté ou changé à son état primitif ? Semblable à la statue de Glaucus que le temps, la mer et les orages avaient tellement défigurée qu'elle ressemblait moins à un dieu qu'à une bête féroce, l'âme humaine, altérée au sein de la société par mille causes sans cesse renaissantes, par l'acquisition d'une multitude de connaissances et d'erreurs, par les changements arrivés à la constitution des corps, et par le choc continuel des passions, a pour ainsi dire changé d'apparence au point d'être presque méconnaissable ; et l'on n'y retrouve plus, au lieu d'un être agissant toujours par des principes certains et invariables, au lieu de cette céleste et majestueuse simplicité dont son auteur l'avait empreinte, que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner, et de l'entendement en délire.