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Critique de candlemas


J ai lu très jeune le Discours sur l origine et les fondements de l inégalité parmi les hommes, en même temps que le Banquet de Platon. Finalement le hasard -?- comme souvent fait bien les choses. d'abord parce que la prose particulièrement passionnée de JJ Rousseau dans ce court ouvrage a tout pour plaire aux jeunes esprits, ensuite parce que sa réflexion puise ses racines directement aux sources antiques.
Petite pensée pour tous les lycéens qui viennent de plancher sur l épreuve de philo, et n ont peut-être pas eu comme moi la chance d apprécier la lecture de ces textes de leur plein gré, le soir après une longue et belle journée de vendange...

Refusant de répondre à la question posée en titre dans une perspective juridique et historique, Rousseau nous invite à nous projeter dans un état de nature ideal, invitant chaque lecteur à redécouvrir -imaginer ?- cet état fondamental au fond de son coeur.
Dans cet état de nature, l homme est un animal comme les autres, tout au plus capable d une ingénierie technique plus perfectionnée. C est là ce que Voltaire dénigra avec férocité... et pourtant, depuis anthropologues , archéologues et autres scientifiques n ont jamais pu démontrer d autres fondements objectifs que l enterrement des morts et le perfectionnement de l outil...
Cet homme de nature , ni bon ni mauvais, mais ayant conservé des tendances naturelles que l homme moderne oublie -telles que l empathie- s est trouvé créer l inégalité en même temps que la propriété : avec la société, l homme se trouve enfermé dans un rôle, une fonction, notamment de production par le travail, et l appropriation des biens en vient rapidement à aliéner. C est ce qui sera repris bien plus tard par Marx.
Jugé souvent pessimiste, Rousseau fait le constat historique que si la propriété et la société en soi ne sont pas une mauvaise chose -par l échange et la spécialisation le loisir et les arts se sont développés , comme le justifient les penseurs libéraux anglais du même siècle - , pour autant l intelligence humaine se trouve alors mise au service d un égoïsme qui tend à assujettir l autre et accroître toujours plus les inégalités.

Dans le second discours, sur les sciences et les arts, C est la notion de Progrès que Rousseau met en cause avant l heure , et non l intérêt des sciences arts et techniques par eux-mêmes. Ne doutant pas de la pureté des intentions de l artiste et de l inventeur, du créateur en général, il constate pourtant que l utilisation, la vulgarisation -la standardisation dirait-on aujourd'hui - dévoie ces avancées au profit du luxe et de l oisiveté, par manque de vertu de l'homme civilisé, gagné par la mesquinerie et le paraître. Revenant aux anciens grecs et même à une certaine morale chretienne, il conclut que le salut , outre un possible retour à l état de nature, serait un gouvernement d élite , où les plus vertueux orientent au mieux l usage des sciences et techniques, au profit de tous, tout en maintenant une exigence morale forte, évitant l amollissement des corps et des esprits.

Je finirai sur un commentaire plus personnel : ces deux discours de JJ Rousseau figurent probablement parmi les fondamentaux de la pensée philosophique de notre temps, ayant exploré des thèmes maintes fois repris depuis. Outre la contribution à la notion de droit naturel, développée par la suite dans le contrat social, et qui irrigue encore aujourd'hui les principes constitutionnels et le droit international en termes de libertés fondamentales et de droits de l homme, la pensée philosophique de Rousseau peut être aussi bien prolongée dans les domaine des droits de l environnement, des animaux, des inégalités hommes-femmes, dans la reflexion contemporaine sur l éthique scientifique et technique, face à l hyper merchandising allienant l individu.
Mais ce qui fait aussi tout le charme de la lecture de Jean Jacques Rousseau, c est l extrême sensibilité qu il y met, dans cette langue ineffable du XVIIIeme siècle. Loin d affaiblir la démonstration, cette émotivité donne force de conviction et persuade. Il faut tout le cynisme d un Voltaire pour y résister, et c est heureux... bien que proteiforme, et pas toujours assumée en actes par son auteur même, cette pensée agite l esprit, et offre une base à maintes réflexions contemporaines. l'une des plus fondamentales et novatrices n est-elle pas justement cette mise en cause relative de la raison et la réhabilitation de l intelligence émotionnelle et d un ressenti conscient, plutôt que de faux principes de rationalité, masquant la forêt de préjugés inconscients ?
Il faut décidément lire et relire ces Discours. 5 étoiles à mon goût.
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