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Citations sur Remords (15)

La phrase, il disait, est féminine. Et, comme toute les femmes, elle est coquette, elle aime se parer. La parure de la phrase, c’est l’adjectif. En excès, il la rend vulgaire. Absent, il masque sa beauté.
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Elle sourit, blagueuse, “Mercredi, c’est day off…”. “Comment ça ?” “Aujourd’hui, c’est le jour où on se repose tous les uns des autres. Ricardo passe la nuit dehors.” Elle lève son verre, “Santé !”. “Santé !”, je répète en avalant une gorgée, qui descend comme une trombe dans ma gorge. “Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais… qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il… fait…” “Je ne sais pas. Il dit qu’il passe la nuit à jouer au poker avec des amis. Ça m’est égal.” “Ça t’est égal ?” “Oui, ça m’est égal.” Elle remplit de nouveau son verre. “Alors, tu n’aimes plus Ricardo, Rosana ?” “Tu parles comme un adolescent, Zézo ! L’amour… c’est quoi, l’amour ? Un lien affectif qui se défait au fil des ans… J’ai été pragmatique, je me suis mariée sans lien affectif. Par conséquent, il n’y a pas eu de détérioration. La tendance, avec le temps, c’est qu’on finisse par juste se tolérer l’un l’autre. Comme je tolère juste Ricardo depuis toujours, je ne suis pas passée par toutes ces phases, déception, réconciliation, frustration, réconciliation, dépression, résignation, etc. Je suis allée droit au but.”
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Dona Alice ne comprenait pas pourquoi les gens condamnaient seu Venâncio parce qu’il était communiste, alors qu’être communiste, pour elle, c’était la même chose qu’être catholique, sauf que sans prêtre ni messe. À l’époque, son mari était emprisonné au pénitencier de Linhares, à Juiz de Fora. Quand il est revenu, quelques années plus tard, il y a eu pèlerinage chez eux, à trois rues de notre maison, parce que, malgré tout, dona Alice et son Vevê étaient aimés dans le voisinage. L’état dans lequel il est réapparu a causé un choc : maigre comme un clou, aveugle d’un œil, plusieurs dents en moins et des tremblements dans les mains. Seu Venâncio n’a jamais pu retrouver du travail, a passé le peu de temps qui lui restait à avoir peur de sortir de sa chambre, aux aguets, se méfiant de tout le monde, pissant du sang et refusant de se soigner, comme s’en plaignait dona Alice quand elle rencontrait ma mère en balayant le trottoir, Une horreur, dona Stella, une horreur.
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Mais oui ! Nous avons fait la primaire ensemble… Alcides… Alcides Animal, comme on l’appelait, parce qu’en plus d’être très costaud – il était déjà gros à l’époque – il s’est révélé extrêmement cruel, et pas qu’avec nous, ses camarades de classe, qu’il frappait régulièrement, mais avec tout ce qui bougeait : il tuait des petits oiseaux au lance-pierre, il noyait des chatons, et il est même allé, une fois, jusqu’à asperger d’essence une jument et à y mettre le feu. Même les maîtresses manifestaient de la peur, C’est le malin, elles disaient en se signant.
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Mes pieds me traînent à travers un immense désert. Le jaune du sable, le jaune du soleil, ma vision brouillée, j’ai soif, à l’horizon, dune après dune, le ciel sans aucun nuage. J’aperçois alors, au fond d’une dépression, quelque chose comme une mare bleue. À bout de forces, je me laisse rouler en bas du ravin. Je tombe dans l’eau et, quand j’approche une main de mes lèvres pour les mouiller, la mare devient sables mouvants et aspire mon corps maigre et sec. J’essaie de crier, mais ma voix reste emprisonnée. Je cherche à me raccrocher au bord, sans succès. Petit à petit, je m’enfonce. Dans un ultime effort, je lève les bras et entends, au loin, des bruits. Désespéré, je me démène pour maintenir la tête à la surface, et plus près cette fois je distingue, “Monsieur, monsieur !”, quelqu’un me secoue.
(incipit)
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Les adolescents papotent dans une langue bourrée d’argot, que j’ai du mal à comprendre. Tamires revient, en traînant les pieds. “Oncle Oséias, et euh… comment s’appelle ton fils, déjà ?” “Nicolau.” “Ah, oui, Nicolau. Je me rappelle qu’il était beau… Mamie Stella me montrait toujours une photo de lui, avec ses cheveux noirs et ces grands yeux bleus…” “Eh oui, un petit Polonais… Il n’a rien d’un Moretto. Il est comme les gens de la famille de sa mère.” “Et qu’est-ce qu’il fait, oncle Oséias ?” Je rougis, respire à fond, pas moyen de camoufler mon malaise. Mais alors le sifflement d’un train, tout proche, nous fait sursauter.
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Graciano faisait partie des fauteurs de troubles – du fond de la salle il narguait les professeurs, pendant les récréations il provoquait ses ennemis. On enviait tous ses boucles blondes, au-dessus d’un tronc aux bras et aux pectoraux bien découplés. Bagarreur et vaniteux, il souffrait d’indigence intellectuelle. Sans son talent hors pair pour tricher aux épreuves – des connivences obtenues par le charme ou la menace – il n’aurait peut-être même pas fini le secondaire.
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Et je cherchais à lui plaire, pas par admiration ni par vanité, comme se le figuraient les autres, mais par pur sentiment d’étrangeté. Pour qu’on ne m’importune pas, je me laissais convaincre – les gens autour de moi, satisfaits, se retiraient et je restais seul, en miettes à l’intérieur, séparé du monde. Avec le temps, une espèce de lassitude m’a transformé en personnage de moi-même, enclin à être toujours d’accord, à toujours dissimuler mes opinions ou sentiments, en m’isolant de plus en plus.
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Ça doit être dur d’être la fille de ma sœur. Rosana a besoin de se sentir désirée, courtisée, félicitée. Je ne crois pas qu’elle trompe Ricardo, ça lui demanderait de s’investir et elle n’a pas la patience, sa fidélité est modelée par une énorme paresse morale, mais elle a besoin qu’on lui rappelle tout le temps qu’elle est belle, intelligente, intéressante. Il faut qu’elle se compare aux autres femmes, dont sa fille, et qu’elle sorte du lot, infiniment supérieure.
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Ce professeur n’avait pas pour moi d’affection particulière, vu que j’étais d’origine ouvrière, mais il admirait ce qu’il exaltait comme mes efforts et mon investissement – pas mon intelligence, pour lui un attribut réservé aux gens bien nés. Mes rédactions ne possédaient aucune originalité, c’est juste que, apathique, j’avais appris à circuler dans la partie sûre d’une route sinueuse, en écrivant comme il le désirait, c’est-à-dire correctement. La phrase, il disait, est féminine. Et, comme toute les femmes, elle est coquette, elle aime se parer. La parure de la phrase, c’est l’adjectif. En excès, il la rend vulgaire. Absent, il masque sa beauté.
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