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Critique de Gruizzli


Joe Sacco est un reporter accompli dans le domaine de la BD, sans aucun doute. Il a une façon de rendre passionnants les sujets qu'il traite, sans éluder la complexité de ceux-ci et les différents points de vue qu'on peut avoir autour. Ce regroupement de différents "petits" reportages qu'il a fait pour plusieurs magazines nous permet de mieux prendre en compte l'étendue de son talent, tout en appréciant l'évolution de son trait. Si les deux premiers reportages sentent la jeunesse d'un auteur pas encore accompli, manquant notamment d'aplomb dans son propos et dans les points de vue, il va ensuite trouver une manière de faire et une représentation des témoignages qui rend toutes ses planches passionnantes.

Le reportage sur la guerre en Tchétchénie, celui sur les clandestins de l'île de Malte, sur l'Inde et également (bien que plus court) sur l'Irak sont passionnants, et justifient pleinement la lecture de cette oeuvre. Joe Sacco s'attache à des endroits méconnus, des faits plus passés à la trappe de la lumière des médias, et tente d'en montrer toute la complexité. Il est notamment attaché à représenter des avis qu'il annonce comme opposés au sien (aussi bien directement que dans la façon de les présenter) mais les représente tout de même. Et il n'oublie jamais de se représenter dans les planches, ajoutant cette dimension là : ça reste un journaliste blanc qui pose des questions aux protagonistes d'un conflit. Lors de son reportage en Irak, il précise bien que certains témoignages sont probablement biaisés par cette caractéristique. Et, encore une fois, j'aime beaucoup. On se rappelle les limites de ce genre de démarche, qui ne peut rendre la réalité, seulement ce qu'on veut nous en dire. le biais est toujours présent, dans tout journalisme, et c'est parfois nécessaire de le rappeler.

Joe Sacco s'est fait une spécialité des conflits, même s'il présente parfois d'autres cas, comme en Inde où il s'agit surtout d'une situation catastrophique pour toute une population. Et pourtant, c'est en représentant les guerres contemporaines qu'il est particulièrement bon : rappeler les horreurs, les crimes, la barbarie qui existent aujourd'hui, à quelques centaines de kilomètres de chez nous, dans l'Europe et à ses marges. le conflit Tchétchène m'a énormément intéressé, par son rapport avec la Russie de Poutine et son incroyable silence médiatique, alors même que c'est un conflit presque génocidaire qui a eu lieu (et continue encore, la Tchétchénie n'est pas en paix). le reportage sur l'Irak, bien que plus court et plus anecdotique, n'a pas été sans me rappeler Kaboul Disco, où Nicolas Wild découvrait l'entrainement américain des recrues afghanes. le parallèle entre les deux BD est assez net, et révèle les mêmes idées et défauts dans l'application du procédé.
Mais c'est surtout celui sur Malte qui m'a surpris : je ne pensais pas que c'était une telle situation, et il faut bien avouer que c'est un problème, comme le souligne le maire à la fin de la BD. Mais comment le régler, qui le fera et quelles en seront les conséquences, voila ce que personne n'a dit ou ne semble vouloir dire. Les points de vue ne font que rajouter des couches à un sujet déjà bien compliqué, et encore, Joe Sacco s'est limité à Malte et n'a pas ouvert sur les pressions européennes que subit l'île. Bref, un beau sac de noeuds qu'on ne peut défaire et qui pose de sérieuses questions sur ce que l'on peut/doit faire à ce niveau ...

Si la BD n'atteint pas les considérations que Joe Sacco livre avec Gorazde ou récemment Payer la terre, j'ai beaucoup apprécié ma lecture, plongé dans les guerres et les conflits que l'humain connait depuis la chute du mur. Ce genre de BD me faire prendre conscience de la chance que j'ai de vivre en France, mais également de tout ce qui se passe dans le monde sans que l'on s'en rende réellement compte. Et surtout, lorsque l'on sait parfois les liaisons que la France entretient avec ces conflits, je me demande ce qu'il faudrait faire à notre échelle. C'est cependant une BD lourde à lire, difficile parfois, et que je ne recommande pas en période difficile. C'est le genre de lecture qui peut ruiner le moral, mais qui est malheureusement nécessaire pour comprendre un peu mieux le monde d'aujourd'hui.
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