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Critique de Woland


ISBN : 9782070406432

Roman policier, soit, puisqu'il y a des meurtres : la soeur Marie-Claire, l'archiprêtre, et Catherine Garraude, une pensionnaire de l'école tenue par les soeurs. Mais les meurtres ne sont que prétexte à nous décrire la société pompidolienne - eh ! oui, je sais, c'est bien vieux ! et certains de vous, lecteurs, ne l'ont pas connue - où s'amorçait la Grande Mutation dont l'aboutissement s'inscrit si sinistrement dans notre France actuelle. Mai 68, les suites de Vatican II, le catéchisme classique que l'on bouscule (là aussi, comme à l'Education nationale, on change toutes les appellations pour faire plus "in", plus "moderne", plus ce que vous voulez, en fait ... ), tout y est. C'est touchant, ridicule ... et inquiétant.

Mais l'opinion de l'auteur sur cette époque qu'elle ressuscite est des plus ambiguës, en particulier en ce qui concerne la religion.

Plus qu'un roman policier, je tiens donc "L'Ange & le Réservoir de Liquide A Freins" pour la critique acérée - mais qui n'a pas l'air d'y toucher - d'une mutation sociétale de très grande envergure qui ne dit pas son nom, critique d'adulte qu'Alix de Saint-André a la finesse de nous retransmettre par les yeux d'une fillette de 4ème, Stella, et de sa grande amie, Hélène, le tout sur descriptions joyeuses et lyriques de la Loire et du Pays d'Anjou. Seulement, entre toutes ces nonnes que ronge l'ambition d'occuper un poste conséquent et de voler surtout le sien à la terrible Soeur Adélaïde, avec ce prêtre béninois - Séraphin - dont on ne sait trop ce qu'il vient faire dans l'histoire sinon sauver l'héroïne à la dernière minute (mais comment peut-il se trouver là à temps, la question demeure irrésolue, à croire qu'il est lui-même un ange ), les familles locales, de la petite bourgeoisie à la plèbe plus classique, dont toutes les mères ne semblent avoir que deux objectifs : le passage du BEPC pour leurs aînées (en 3ème) et la profession de foi, ou communion solennelle, pour leurs benjamines (en 6ème), le lecteur ne sait plus très bien pour quel camp balance le coeur de l'auteur : pour les "progressistes modernistes" dont elle se moque de manière bouffonne (un peu comme Jean Yanne dans "Moi, Y'En A Vouloir des Sous") ou pour les "purs et les durs", adeptes de la messe en latin, etc, etc ...

L'assassin, certes, appartient à la dernière catégorie, et même si l'on peut expliquer ses actes par une sorte de folie religieuse - on connaît bien ça, hein ? de nos jours - il n'en reste pas moins que sa personnalité présente certains côtés attachants. le troisième assassinat d'ailleurs n'est-il pas une mesure de miséricorde envers un pauvre être que les "progressistes" complotaient de faire interner ?

Sur l'autre plateau de la balance, certains progressistes sont sympathiques (le père Séraphin, par exemple, s'il se veut moderne, n'en oublie en rien les bases de la chrétienté et ses citations latines) et quelques nonnes, plus âgées et plus faibles que d'autres, se voient accusées à tort d'erreurs qu'elles n'ont pas commises, ce qui, bien sûr, les peine profondément.

Durant toute la lecture, on a conscience de ne pas être dans un "vrai" roman policier. On perçoit bien que les meurtres sont ici comme autant d'alibis dont l'auteur se sert pour nous raconter une certaine enfance - la sienne, peut-être ? le style est vif, débridé, bien loin des lenteurs angevines tant vantées par ailleurs. On s'amuse bien plus qu'on ne tremble et si l'on pense à un tel ou une telle comme à l'assassin, on finit par ne plus vraiment savoir à quel démon se vouer.

Disons que nous sommes en présence d'un roman bien sympathique, qui n'est pas pour autant un chef-d'oeuvre ou même un policier dans le style de Pierre Magnan, mais auquel on se laisse prendre avec une certaine nonchalance parce qu'il ressuscite en nous les souvenirs d'une jeunesse que nous partageons plus ou moins avec l'auteur. Je pense ici aux lecteurs quinquagénaires, voire même quadragénaires, à qui ces paysages évoqués, ces coutumes revenues à la vie, ces pudeurs retrouvées et plus encore cette impression de charnière en mouvement, de plaque tournante entre deux mondes que furent les années Pompidou, parlent un langage qu'ils ont eux-mêmes parlé et qu'ils retrouvent instinctivement devant le clavier de leur ordinateur et dans la noirceur accablante de notre univers banalement "mondialisé." C'est en quelque sorte le Marché commun (vous vous rappelez tous nos rêves ?), tout simple et tout bête, tout sage aussi, face à cette pieuvre gloutonne et sans âme de l'Union européenne.

Les lecteurs plus jeunes n'aimeront peut-être pas ou ne saisiront pas tout le charme, fragile et aussi éthéré que l'Ange du titre, de cet ouvrage tout à fait particulier. Mais qu'ils prennent patience : un jour, eux aussi, avec l'âge, souriront devant un livre du même type qui leur rappellera leur enfance, leur jeunesse - et un monde fatalement meilleur. ;o)
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