Louise de Vilmorin, femme du monde, femme de lettres. Lancée. Qui écrivait des romans, des pièces. Dont les poèmes inspiraient Poulenc. Femme d'esprit, aussi. Sa dédicace à Gaston Gallimard - Je méditerai, tu m'éditeras - , plongeait Edmonde Charles-Roux dans l'extase.
Je ne crois pas qu'il faille tout publier. Les écrivains ne sont pas comme des poules dont tous les œufs doivent être mangés à la coque le lendemain matin. Je crois qu'il faut attendre.
Quand certains s’accommodaient de l'infamie des "étoiles jaunes" cousues aux revers, l'annonce "Collections de haute-couture" continuait à faire frémir les femmes du monde. La frivolité avançait masquée, sous couvert d'une théologie de la résistance à l'ennemi, ces dames fortunées permettant à l'industrie textile française de tourner encore.
Elle serait méditerranéenne. Peut-être l'était-elle déjà, et par tous les pores de sa peau ; désormais, elle le serait en conscience. Méditerranéenne, cela voulait dire vivre les yeux ouverts sur l'avenir, sur le grand large, prête à danser la ronde main dans la main avec d'autres exilés du soleil, d'autres grands blessés, pour leur communiquer sa force vitale et se laisser envahir par leur appétit de vivre.
Ils étaient partis à la guerre remplis de vigueur, ils en revenaient sous-hommes, couverts de vermine, dépenaillés, efflanqués. À chaque descente de convoi, elle prenait en pleine face la réalité de la vie dans les stalags. Les vaincus débarquaient dans une curieuse atmosphère. La foule leur faisait fête, ils semblaient ne pas le voir, hésitants, égarés. Certains cherchaient dans la cohue une silhouette familière, une femme, une mère, un frère, et quand leur regard se posait enfin sur elle, le soulagement n’éclairait leur visage qu’un bref instant, avant de céder la place à une expression indéchiffrable.
Dans les yeux noirs d’une formidable vivacité flamboyait ce qu’Edmonde croyait impossible d’y voir : la sensibilité, l’amour de la vie et la joie que cet homme ne pouvait exprimer autrement. La discussion s’était prolongée, sur un ton naturel, portée par la tendresse et la complicité qui unissaient l’oncle et le neveu.
Elle était ressortie de la pièce éblouie par cette victoire totale de l’esprit sur la matière.
"On ne sait pas à quoi ressemblera demain… Aussi, carpe diem ! "
C’est fou ce que les voix révèlent. Cette fille, par exemple, possédait la voix d’une femme puissante, au gabarit infiniment plus imposant que ne le laissait croire sa silhouette nerveuse ; voire d’une femme énorme, sans qu’elle en eût la moindre conscience. Ses années de professorat avaient appris à Gisèle Peyron que les voix parlaient au-delà des apparences. Malgré soi.
Elle parlait tant de langues et ne savait que faire pour se rendre utile. Répondre aux questions, rassurer ceux qui pouvaient l’être. Une simple phrase prononcée dans la langue natale lui valait une expression de gratitude presque étonnée.
Ceux qui avaient des papiers en règle et un pedigree vierge de toute sympathie pour le communisme ou le socialisme obtenaient leur visa américain. Les autres, les pas-de-chance, revenaient jour après jour, dépendants de ce goutte-à-goutte mortifère : « Attendez votre tour. Retournez à votre place. On va s’occuper de vous. »
La nuit on ne se ment pas, on s’invente. On se reconnaît.