Vivre, c'est cela : douter, baiser, regretter, perdre, et parfois, parfois seulement, c'est aussi gagner.
Le travail acharné n’est que le refuge des gens qui n’ont rien d’autre à faire.
[Oscar Wilde]
Il faut que je demande au père César si un paradis fiscal est l’endroit où vont les chefs d’entreprise catholiques quand ils meurent.
Je ne vois que des gens impatients ou qui tentent de dissimuler leur appréhension : (…) des filles et des garçons qui marchent la tête baissée, comme des pénitents, alors qu'en réalité ils rendent un culte à la communication instantanée sur leur portable.
Le bien ne suffit pas à être heureux, mais le mal suffit à rendre malheureux.
[Aristote]
Ça m’a encore rappelé les avant-derniers mots de
Benito :
— Mets-toi ça dans le crâne une bonne fois pour
toutes, Piedad, m’a-t-il dit entre deux quintes : les proverbes et les boléros mentent toujours. Même s’ils le font par charité. Puis il a souri comme s’il s’agissait d’une bonne blague qu’il était le seul à comprendre, et je dois reconnaître que ça m’a un peu contrariée parce qu’après tant d’années de mariage Benito était censé savoir que les proverbes et les boléros étaient tout ce qui me restait de papa et maman. Ça, l’entreprise et les terres en Andalousie, même si ça faisait des années que je n’y avais pas mis les pieds et que je laissais Benito s’en charger.
Mais on ne peut pas se fâcher contre son mari quand il crache du sang et qu’on vient de l’extraire d’un amas de tôle froissée qui, quelques minutes plus tôt, était une BMW métallisée de série limitée. Ça m’a fait de la peine pour le pauvre Benito qui aimait tellement les voitures de luxe. Il prétendait que c’était bon pour l’image, qu’un PDG ne pouvait pas aller au travail dans la même voiture qu’un pouilleux de la comptabilité. Chaque fois qu’il disait ça, je me rappelais en silence l’un des dictons de papa : “L’argent est fait pour être dépensé, et la femme pour être touchée.” Le fait est que Benito ne m’avait pas touchée depuis longtemps, mais l’entreprise l’accaparait tellement que le pauvre était presque à bout de forces et qu’il aurait été égoïste de ma part de le lui reprocher.Benito mourait. Il y a un mois, Benito mourait près de l’épave de sa BMW encastrée dans un mur, entouré de gardes civils, de médecins du Samu et de badauds qui prenaient des photos avec leur portable.
J’ai approché mes lèvres de son oreille et je lui ai chanté, très émue :
Espérame en el cielo, corazón,
si es que te vas primero*...
Benito a voulu dire quelque chose mais ses mots sont restés captifs d’une bulle de sang sortie de sa bouche, ce qui fait que je ne serai fixée que lorsque nous nous retrouverons dans l’au-delà. Sur le coup, j’ai eu l’impression qu’il disait :
— Même pas en rêve.
Mais je me suis sûrement trompée.
[* Attends-moi au ciel, mon cœur, / si tu t’en vas d’abord...]
Même les oiseaux les plus braves peuvent voler vers le ciel trompeur...(...) Quand ils sont sur la terre, ils sont maladroits, ridicules, même. Mais quand ils volent, quand ils volent, alors on pourrait croire que Dieu existe.
C'est curieux mais elle me manque. Depuis le jour où sa voix a commencé à résonner, forte et claire, après la mort de Toby, L'autre a été une compagne encombrante certes, mais une compagne tout de même. Et maintenant qu'elle est retranchée dans un silence coupable à la suite de ses révélations, j'ai besoin de son timbre cynique et tranchant.
Il faut que je demande au père César si un paradis fiscal est l’endroit où vont les chefs d’entreprise catholiques quand ils meurent.
On m’a appris depuis l’enfance que payer quelqu’un pour qu’il fasse ce que l’on n’aime pas faire est une sorte de péché.