C'est un livre épais d'une soixantaine de pages, dans la collection Connaissance des arts (H.S. n° 457, 2e trimestre 2010). Il commence par une interview avec
Laurent Salomé, commissaire de l'exposition « Rouen, une ville pour l'impressionnisme. Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen » que j'ai eu la joie de visiter. Je me souviens combien c'était troublant, éblouissant, cette exposition, les salles Pissarro aux variations à l'infini des vues de Rouen. Les 11 cathédrales de Monet, telle une galerie de portraits, c'était une révélation aussi, et c'était quelque part une réponse à
William Turner venu en 1832 peindre cette même cathédrale ! La salle Gauguin surprenait par son esprit campagnard car personne n'associe le nom de Gauguin à Rouen…
Rouen est une ville au site exceptionnel : la Seine, les ponts, les chambres avec vues, les collines, le port, les fumées, les côtes, les monuments magnifiques, les rues médiévales, le Rouen secret de ses faubourgs, une cité industrielle, une grande bourgeoisie, des amateurs éclairés.
Le livre rend à l'École de Rouen, née au début des années 1880, sa juste place dans l'histoire de l'art. Car le contraste est immense entre sa gloire locale et, à l'extérieur, un mépris ou une ignorance totale.
L'ouvrage parle de la résistance des conservateurs à la nouvelle peinture impressionniste, qui déplore son aspect « inachevé » et d'un autre côté des initiatives privées en faveur de la jeune peinture.
Les grands peintres parisiens ne viennent pas à Rouen. Solitaire et hautain, Monet ne cherche pas à se lier d'amitié avec les artistes rouennais, par contre Pissarro y plante sont chevalet et noue des relations avec Delattre. Gauguin est quand même présent dans la ville à ses débuts. le rouennais Léon
Jules Lemaître est le seul à se former à Paris. Charles Angrand, la très grande figure de l'école de Rouen, le théoricien, le militant, ami proche de Seurat, importe à Rouen la théorie du divisionnisme, il s'installe dans la capitale et devient l'ambassadeur de ceux qu'on appelle « les mousquetaires », les jeunes impressionnistes rouennais, dans les milieux parisiens. Charles Frechon, Albert Lebourg et Joseph Delattre suivent de près l'actualité parisienne. Robert Antoine Pinchon, ce peintre rouennais important auquel une salle de l'exposition est réservée, est remarquable parce que plusieurs de ses chefs-d'oeuvre ont été peints avant l'âge de vingt ans ! Les jaunes acidulés de sa toile « Inondation » évoquent
Van Gogh.
L'interview est suivie d'autres chapitres contenant des analyses enrichissantes : l'article « Rouen à la fin du XIXe siècle » est écrit par
Loïc Vadelorge, « Points de vue » et « L'École de Rouen » sont rédigés par
Jean-François Lasnier, ensuite viennent « le temps des cathédrales » par
Christophe Averty et « La vie en ville » par
François Legrand.
Comme vous avez certainement remarqué, j'affectionne particulièrement ce genre d'écrits. Ouvrir ce livre fut un bol d'oxygène, un oubli de soi si bénéfique. Nous avons fait une lecture commune avec mon fils (qui n'était pas encore né en 2010 !) et nous avons fini par avoir une sorte de vertige après tant de couleurs mangées d'un coup !