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Critique de cedratier


« La méthode Mila » ; Lydie Salvayre (Seuil, 210p)
Lydie Salvayre aime les grands écarts, elle nous le montre encore ici.
Dans la trame assez improbable de son roman d'abord, entre dispute philosophique de haute volée, récit détaillé d'un quotidien trivial et morbide, péripéties d'un village pris dans un délire raciste. le narrateur, quadragénaire célibataire et misanthrope, se voit obligé d'accueillir chez lui sa vieille mère déclinante, et de plus en plus dépendante. Se piquant de philosophie, et creusant l'oeuvre de Descartes, en particulier son « Discours de la méthode », il interpelle celui-ci dans une longue lettre virtuelle où il confronte les principes de l'auteur du XVIIème siècle à la vie qu'il mène dans ce face-à-face terrible avec cette mère autant haïe qu'aimée. Car la vielle femme le vampirise par ses exigences répétées, ses besoins physiques et affectifs, elle le réduit en esclavage. le narrateur ne nous épargne rien du corps déliquescent, de la toilette intime, de l'odeur de la dépendance, du poison du chantage affectif, ni de la culpabilité face à cet accompagnement aussi nécessaire qu'insupportable. Et le solitaire d'engueuler vertement le philosophe, qui dans sa méthode a prétendu rationnaliser de manière logique voire mathématique ce qui doit fonder notre manière de nous comporter. Il pousse le raisonnement de Descartes dans ses contradictions, car celui-ci a voulu réduire l'esprit humain à une mécanique logique qu'on pourrait, avec une rigueur purement intellectuelle, diriger en toute lucidité et donc sans surprise. Notre comportement au jour le jour pourrait ainsi être parfaitement régulé par la mise en doute systématique. le narrateur lui objecte qu'il a juste oublié la complexité de la vie réelle, que sa philosophie ne peut en aucun cas régler ses dilemmes, qu'elle ne lui est d'aucun secours dans ce qu'il vit, entre rage et compassion, envie de se débarrasser par tous les moyens de cette mère envahissante et son besoin répété de la secourir. Elle ne permet en rien de comprendre l'irrationnalité des comportements de villageois qui s'insurgent dans une frénésie infâme (et tellement actuelle) contre l'installation d'un camp de Roms, ou celle de la jeune fille qui répète sans fin dans ses amours les mêmes choix délétères. Descartes, nous dit donc Lydie Salvayre par la voix du narrateur, est un être désincarné, sans l'épaisseur complexe et pour une part insoluble de la vie, sans l'intuition de l'inconscient, et surtout sans l'expérience intense de l'amour et de la passion, irréductible aux règles d'une méthode (les quatre dernières pages sont de ce point de vue sublimes comme ode à la vie.) « Vous invitez aux logiques immobiles, aux raides hiérarchies, aux arides classements. Vous invitez à la méthode. A l'ordre mort. Or la pensée ne crée rien, Monsieur, si à la discipline, si à la rigueur, si à l'ordre elle n'allie le désordre, je ne dis pas la débandade, je ne dis pas la panique, ni la tête à l'envers, je dis le désordre, Monsieur, je veux dire le mouvement, je veux dire la vadrouille, ou l'errance hasardeuse. Ou la foudre. » Cet extrait pourrait résumer le fond de la pensée de LS, et son projet, qu'elle illustre dans ce qui reste fondamentalement un roman magistral et très accessible, en nous racontant une belle histoire.
Elle aime aussi les grands écarts dans son écriture, mariant ici comme ailleurs avec talent et humour un classicisme avéré et un langage soutenu (phrases élégantes sans lourdeur, imparfait du subjonctif, sentences dignes des moralistes du XVIIème et usage de locutions latines…), avec en vis-à-vis une oralité, une crudité dans le choix des mots et des tournures.
C'est infiniment drôle, c'est frais, c'est piquant, et ça donne à réfléchir.
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