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Critique de HordeDuContrevent


Un huis-clos insulaire, oppressant et mystérieux. Entre L'île mystérieuse de Jules Verne et L'ancêtre de Joan José Saer, un récit subtil en une boucle temporelle désespérée et profondément humaine.

Les récits dans lesquels une poignée de personnes, lorsque ce n'est pas une seule personne, se retrouvent sur une île isolée ne manquent pas. Une liste a même été créée sur Babélio pour tenter de les rassembler, liste riche que je vous invite à découvrir : https://www.babelio.com/liste/6366/les-maudites.
C'est cette liste et quelques très belles critiques récentes qui m'ont attirée vers ce livre à la couverture énigmatique.

le narrateur est un météorologue irlandais. Les conflits entre l'Angleterre et l'Irlande, puis la guerre civile au sein même de l'Irlande, ont émoussé son patriotisme qui a perdu tout son sens, et l'ont poussé à fuir cette spirale de violence et ses semblables. Il s'engage alors pour rejoindre un poste, un an durant, sur une île minuscule, « terre écrasée entre le gris de l'océan et celui du ciel, entouré d'un collier d'écume », totalement isolée, de l'Atlantique Sud. Cet isolement, choisi, va lui permettre de se retrouver, de lire de la philosophie, de couper un temps avec la civilisation…croit-il. En réalité, il va découvrir, après le départ du bateau qui l'a déposé, que lui et le gardien du phare, uniques habitants de l'île, seront soumis toutes les nuits aux terribles assauts meurtriers de créatures venues de la mer, des monstres effrayants de prime abord, fascinants au fur et à mesure que nous les découvrons, des créatures maritime très musclées, agiles, aux yeux d'un bleu intense, aux doigts palmés, recouverts d'une peau de requin vert salamandre, d'une peau froide.

« A mesure qu'ils foulaient le sable, ils se transformaient en reptiles. Leur peau mouillée ressemblait à l'acier d'une sculpture huilée. Ils rampaient sur une centaine de mètres puis se relevaient, dans un bipédisme parfait. Mais ils avançaient le torse un peu penché en avant, comme quelqu'un qui lutte contre la bourrasque ».

Pour sa survie, en échange des munitions qu'il possède, à savoir deux pistolets et de très nombreuses balles, il va réussir à quitter son fragile cabanon, frêle station météorologue qui ne peut en aucun cas le protéger bien longtemps des assauts nocturnes, et à venir vivre dans le phare avec cet homme très particulier qu'est Batis Caffo. Un homme rustre, égoïste et farouche, au passé que nous devinons trouble. Un homme qui ne vit en réalité pas seul. Il détient une créature, une femelle, la « mascotte », dont il a fait son esclave sexuelle. Nous sommes tiraillés, notamment lors de certaines scènes intimes, entre le malaise lié à l'exploitation malsaine de cette pauvre créature et son érotisme qui, associé aux chants envoutants qu'elle entame par moment, font penser à une sirène au corps parfait, à la beauté étrange.

« Des hanches de ballerine et un ventre plat, très plat. Des fesses plus denses que le granit de l'île. La peau du visage en accord avec le reste de la peau, alors que chez les humains la texture des joues et celle du reste du corps ne sont pas généralement pas homogènes (…) les cuisses sont un miracle de sveltesse et s'ajustent aux hanches avec une exactitude qu'aucune sculpture ne saurait reproduire ».

C'est avec l'oeil de l'anthropologue (Albert Sanchez Pinol est d'ailleurs anthropologue et cela se ressent dans cet écrit) que notre homme aborde la psychologie de son compagnon d'infortune, mais aussi les relations avec les « faces de crapauds », et notamment, après la terreur et le dégout, la compréhension progressive de leur mode de vie, de leur organisation, via l'observation approfondie qu'il va mener sur la femelle captive et sur les enfants des créatures qui viennent peu à peu jouer au pied du phare. Albert Sanchez Pinol ne veut pas seulement divertir son lecteur, au moyen d'efficaces et multiples rebondissements tous captivants, parfois gore même, où le sang, bleu, gicle en tous sens, il décortique également au scalpel cette peur que nous avons de l'autre, de l'inconnu, de l'étranger. Monstrueux sont celles et ceux que nous voyons comme tels, avec notre regard empli de préjugés et de filtres. Si nous prenons le temps de ne pas simplement regarder mais de voir, de comprendre, alors les monstres se transforment en êtres doués d'âme et de sentiments. La question est alors non pas ce que nous pouvons leur apprendre mais ce que nous apprenons d'eux.
Ce que nous voyons avec dégout et haine est souvent le reflet des peurs que nous cachons en nous, profondément enfouies. Des peurs que nous faisons rejaillir sur l'autre. Comme le souligne avec subtilité l'incipit :
« Nous ne sommes jamais très loin de ceux que nous détestons. Pour cette même raison, nous pourrions donc croire que nous ne serons jamais au plus près de ceux que nous aimons ».

Lorsque la recherche de la paix du néant et du silence aboutit à un enfer peuplé de monstres… Un livre haletant, mystérieux, oppressant, bien rythmé mais aussi une riche réflexion sur notre rapport à l'autre, servi par une belle écriture, sensible et élégante. Un livre à découvrir sans hésiter !

« Tous les yeux regardent, peu observent et très peu voient »

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