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Critique de enjie77



« Une histoire d'amour et de nazi »

Dès les premières pages, j'ai ressenti comme un trouble profond, personnel voire un malaise diffus. Pénétrer l'intimité d'un haut dignitaire nazi, responsable de meurtres de masse et de déportations était, pour moi, une première. Je découvrais un Otto amoureux, non dénué de sentiments : curieuse sensation. Que de contrastes chez ce père de famille, qui pouvait parfaitement, sans état d'âme, conduire le massacre de Bochnia en Pologne tout en conservant une attitude nonchalante au milieu de ses officiers.

Je regarde la photographie de la couverture du livre, Otto et Charlotte avec les enfants, Horst et Liselotte. Comment deviner que cet homme fut un soutien précoce d'Hitler, qu'il participa au coup d'état où fut assassiné le chancelier Dollfuss. Rien ne peut le distinguer de vous et moi si ce n'est l'uniforme. Otto est le portrait parfait du bel aryen. Il aime les femmes qui le lui rendent bien. La rencontre avec Charlotte est décisive. Elle lui offre « Mein Kampf » en mars 1931 où elle écrit sur la page de garde « Dans le combat et l'amour jusqu'à la fin ». Elle rejoint le parti nazi en mai 1931. Ce livre est incroyablement surprenant, on découvre en même temps une passion amoureuse entre deux êtres qui adhèrent aux lois de Nuremberg et aux théories « bidon » de la race aryenne.

Constat déstabilisant : les nazis sont donc à notre image, ils peuvent partager des émotions aux nôtres pareilles. Parce qu'elle aura aimé son Otto, Charlotte, elle aura tout accepté pour lui, tout enduré mais sans jamais renoncer à leur engagement. Femme nazie convaincue, elle est prête à tout pour lui. Elle aura les mêmes problèmes que n'importe quelle femme ou amante : les maternités, l'éducation des enfants, un mari volage, la jalousie et la peur de le perdre. Et quel engagement ! Pas un seul instant, ce couple ne remet en question les décisions du Führer. L'un comme l'autre acceptent aveuglément la méthode Himmler. Lui participe sans état d'âme à la « Judenaktion » qu'elle approuve, ce qui veut dire l'assassinat de milliers d'enfants, de femmes et d'hommes tout en continuant de s'écrire des poèmes, des lettres d'amour. C'est ce qui m'aura le plus troublée dans cette lecture captivante. Comment une mère qui aime et protège ses enfants, une femme amoureuse qui connait donc ce sentiment vif qui incline à vouloir du bien, peut-elle adhérer au nazisme !

Philippe Sands soulève, également, le problème du poids de cet héritage pour les enfants et les petits enfants. Il met en évidence soit le déni, soit la douleur, soit un antisémitisme virulent de toute une famille jusqu'à aujourd'hui mais c'est toujours avec intelligence et subtilité.

J'ai découvert Philippe Sands avec « Retour à Lemberg » où dans un fascinant récit, il relate les circonstances par lesquelles, il a pu lever le voile sur l'histoire ignorée de son grand-père, Léon Buchholz, assassiné à Lemberg avec toute sa famille.

Commence pour lui une quête incessante qui le mène sur la terre de ses origines d'où émergent deux dignitaires nazis Hans Frank, gouverneur de Pologne et Otto von Wächter, Gouverneur de Cracovie pour devenir ensuite gouverneur du district de Galicie, territoire dont Lemberg faisait partie. A partir de cet instant, Philippe Sands a rendez-vous avec son histoire et l'Histoire. Il contacte Niklas Frank, le fils de Hans Frank, qui lui présente Horst von Wächter, le fils d'Otto.

La question des origines est une quête qui ne vous laisse pas beaucoup de répit. Plus tu avances, plus tu veux savoir. C'est une quête qui vous absorbe corps et âme d'autant plus quand elle est sur fond de Shoah. Philippe Sands est, à ce titre, impressionnant de ténacité. Il faut reconnaitre qu'en sa qualité d'avocat franco-britannique de grande renommée, il a pu aussi s'appuyer sur une équipe de chercheurs. Il a le sens du détail, il analyse les preuves, il cherche à étayer les faits, rien ne lui échappe dans cette avalanche de faits historiques.

Dans « La Filière », le projecteur est braqué sur Otto von Watcher. Après avoir relaté les débuts d'Otto von Wätcher et de son épouse, leur environnement familial, leur engagement politique, Philippe Sands nous apprend que ce nazi, recherché pour « meurtres de masse » disparait le 8 mai 1945 pour réapparaître quatre ans et demi plus tard dans un hôpital de Rome, « le Santo Spirito », gravement malade, à l'article de la mort.

Et c'est là que le récit devient addictif, un véritable thriller. Que s'est-il passé entre 1945 et 1949 ? Otto est-il bien décédé à l'hôpital ? Qui est cette femme prussienne qui venait lui rendre visite ? Comment est-il mort, de maladie, suicidé ou assassiné ?

Horst, le fils d'Otto, soutien Philippe Sands dans ses recherches. L'ambition de Horst diffère de celle de Philippe. L'un cherche à innocenter ses parents et les laver de l'opprobre, alors que Philippe cherche à reconstituer le parcours de l'assassin de sa famille. Horst perçoit son père différemment. Il garde le souvenir des propos de sa mère qui n'a eu de cesse de clamer que son père était un homme bien, humain. C'est dans cet objectif qu'Horst demande à Philippe que ce dernier le tienne au courant de ses investigations.

La famille von Wätcher est passée au crible grâce aux archives de Charlotte. Elle a conservé méticuleusement tous les agendas, les courriers, ses cahiers intimes, les photographies qu'elle a légué à Horst. Tous ces documents vont être scannés et transférés à l'équipe de Philippe aux fins d'un documentaire en 2015 « What Our Fathers Did. A Nazi Legacy » sur lequel, la troupe travaillera cinq ans. Ces archives sont conservées au « United States Holocaust Memorial Museum ».

Dans son parcours, l'auteur rencontrera Gérald Steinacher, auteur de « nazis en fuite » (merci Pecosa) ainsi que David Cornwell plus connu sous le nom de John le Carré, jeune second lieutenant, faisant partie d'une équipe de sécurité de terrain dans la zone russe qui débriefait les personnes déplacées. Il sera aussi en contact avec le Centre Simon Wiesenthal. Rien ne sera laissé au hasard jusqu'à la fin de cette quête surprenante, passionnante, émouvante, riche en rebondissements mais qui permettra à Philippe, enfin, de connaître son histoire. Les sources et les documents sont énoncés en fin de livre et c'est impressionnant.

« Les enfants ne sont pas épargnés ; le passé fait son oeuvre. de retour chez elle à Vienne, Magdalena, qui venait de parcourir les lieux de mémoire des Wächter en Autriche avait choisi d'affronter ce passé. Contre la volonté de son père (Horst), elle publia un bref message sur les réseaux sociaux :
Mon grand-père était un meurtrier de masse ».

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