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Citations sur Tous les matins, elle boitait (9)

Je me lançai :
— On m’a informé d’un autre danger, moi, un danger qui viendrait de nouveau du côté allemand. Le Parti nazi…
Je n’eus pas le temps de terminer :
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, m’assena-t-elle. Ses traits s’étaient épaissis.
— C’est un ami qui…
Je lui décrivis les images de Kurt et son expérience malheureuse auprès de l’un des instigateurs de ce parti.
— Ne te mêle pas de cela, conclut-elle.
Tandis que j’essayai de m’exprimer, elle avait gardé un regard fuyant. J’avançai le buste en fronçant les sourcils :
— Mère, tu m’as toujours dit qu’il fallait que nous ayons notre opinion, nous, les femmes. Une autre voix s’éleva.
— Jeanne, ne t’obstine pas, trancha mon père.
Son intervention me surprit. Quant à Mère, elle inspira longtemps et plissa les yeux. Puis elle baissa le ton en tournant la tête :
— Il ne s’agit pas de cela. Oma dit que : « Le seul ennemi contre qui il faut se battre est celui qui nous empêche d'aimer. »
— Et ?
Elle savait qu’en évoquant Oma, elle touchait une corde sensible. Mais cette fois-ci, je ne me laisserais pas faire, d’autant que sa phrase, si elle semblait belle, était particulièrement opaque au regard de notre discussion. Sentant que je me braquais, Mère se leva vers la fenêtre noircie par l’arrivée de la nuit.
— C’est trop compliqué. Concernant notre relation à l’Allemagne, je te demande de ne pas prendre parti. C’est la seule façon de ne pas couper l’Alsace en deux. J’ai mis du temps à comprendre. Pour l’amour des nôtres, il faut rester neutre : accorder du crédit aux deux pays.
— Si tu avais vu les images filmées par mon ami, tu saurais qu’il faut que nous combattions ce parti.
[…] Mère ne répondit pas tout de suite. Elle éleva la voix, le poing serré, en inspirant profondément.
— Ne te mêle pas de cela, répéta-t-elle. Tant que nous parvenons à préserver l’unité de notre famille, nous ne devons pas laisser notre colère nous mener à des combats fratricides. Nous devons nous préoccuper uniquement de permettre à notre famille de repartir sur de meilleures bases. L’Allemagne a façonné une partie de l’Alsace d’aujourd’hui. Nous ne pouvons pas faire comme si ces liens n’avaient jamais existé, mais en tenant compte de cela, nous devons aller de l’avant et l’aider à revenir dans le giron français.
— Tu ne comprends pas, je ne te parle pas de l’Allemagne, je te parle d’un parti, qui se trouve à deux pas de chez nous et qui n’hésite pas à recourir à la violence !
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Aujourd’hui, il m’est arrivé une chose terrible : je me suis rendue à la boulangerie pour chercher le pain. La boulangère a retenu la miche : « Je ne suis pas sûre qu’il y ait du pain pour les amis des boches ici. »
Quelques jours auparavant, j’avais reçu une lettre de mon amie allemande, j’étais tellement heureuse lorsque le facteur me l’a remise… L’histoire a fait le tour du village.
Il y a eu la boulangère, puis Willi : « Tu as bien raison de soutenir les Allemands, va, ce ne sont pas les Français qui vont nous aider à rester Alsaciens », m’a-t-il dit quand je me suis plainte.
C’est trop pour moi. À toi je peux le dire : je voudrais aimer mes racines françaises et mes coutumes alsaciennes, sans avoir à rejeter tous les Allemands. J'ai la fenêtre grande ouverte et les gouttes tapotent le Suffel en contrebas. Je voudrais qu’elles m’emmènent jusqu’à la ville. Il me semble que les gens d’esprit, ceux de l’université, échappent à ces dilemmes. Leurs idées s’envolent au lieu de s’enterrer dans nos campagnes. Mais qui tiendrait la maison quand ma mère travaille à la poste ?
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Je me remémorai cette foule, immense, qui m'avait tant impressionnée en 1918 et que j'avais voulu dénombrer. Aujourd'hui, j'avais lâché prise et les illusions s'étaient envolées. Je touchai du doigt quelques constellations. Je souris. Pendant toutes ces années, les choses ne s'étaient pas déroulées comme je les avais pensées, mais de mes élans, de mes certitudes, de mes engagements, de mes colères, il me restait quelques réalisations, des sentiments aussi. Mes origines alsaciennes m'avaient appris que des appartenances aussi fortes que la nationalité pouvaient être déracinées. […] Après que la montée du nazisme avait effacé l’insouciance née de l'armistice de 1918, je l'avais combattu sans héroïsme, mais avec constance. J'avais fait ce que j'avais pu, un peu comme Irmine, qui, chaque matin se trainait au travail malgré son pas boitillant, mais sans succomber à la tentation d’expliquer le malheur, de faire porter le chapeau à des boucs émissaires désignés puis violentés. Avec Théo, j'avais appris à aimer. Nous avions aussi tamisé nos différences pour avancer ensemble.
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Je m’apprêtai à me diriger vers un autre tableau quand il me donna son prénom : Eugène. Il m’expliqua qu’il demeurait ici toute l’année, « le temps que je me fasse au regard de tous ceux qui ne voient en la guerre qu’un caprice de notre époque qu’ils pourraient effacer à grand renfort de fêtes en paillette ». En revanche, il ne me demanda pas mon prénom. Plus tard, je compris qu’il le connaissait déjà. Il resta un moment silencieux. Je crus qu’il allait continuer sa visite guidée. Cependant, il résolut :
— Une femme cultivée, discrète et peu émotive… décidément, oui, je vais vous ramener à mon frère. Vous êtes peut-être un peu trop intelligente pour lui, mais il ne s’en rendra pas compte.
Il me tendit son bras. L'ironie avec laquelle il me conduisit aurait pu être touchante s'il ne l'avait pas accompagnée d’une grimace moqueuse, mais je le suivis sans résistance. Votre frère, je le connais, pensai-je. C'est un jeune premier comme j'en ai rencontré beaucoup dans mes soirées arrangées. Mais lui, il est désespérément sincère. Il cherche une âme sœur comme si son âme en dépendait.
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Les blessures de famille pénètrent bien plus profond, peut-être parce qu'elles connaissent le chemin du coeur.
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Aujourd'hui, il m'est arrivé une chose terrible : je me suis rendue à la boulangerie pour chercher le pain. La boulangère a retenu la miche : " je ne suis pas sûre qu'il y ait du pain pour les amis des boches ici."
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Tous les matins, elle boitait.

Par Mélinda Schilge





Comment établir un pont avec une jeune fille de mai 68 lorsqu’on est une femme qui a vécu sa jeunesse au sortir de la grande guerre de 14-18 ?

Plutôt que des leçons de morale, Jeanne choisit de déballer sa correspondance avec Marilène, sa cousine alsacienne qui est aussi la mère de Lucie.

Lucie découvre ainsi de l’intérieur, la vie de femmes qui n’avaient pas le droit de vote, dont la sphère d’influence se limitait à celle du foyer, et avaient besoin de l’autorisation maritale pour travailler. Années pas si folles que ça pour la plupart des femmes dont le statut était ni plus ni moins celui d’un incapable majeur.

Souvent dans les romans, l’émancipation d’une jeune fille passe par la découverte de l’amour et de la sexualité. Pour Jeanne, l’émancipation passera par le développement de sa conscience politique. La découverte de ses racines alsaciennes et l’immersion dans la branche de sa famille vivant dans une région redevenue française depuis peu, favorise l’éveil d’un autre point de vue, et lui permet de s’écarter du prêt à penser destiné aux filles. Elle assiste à la montée du nazisme et en pressent immédiatement le côté obscur.

Bravant les injonctions de son environnement, elle choisit son camp et s’y tiendra pendant la deuxième guerre mondiale, découvrant le pouvoir des images grâce à son ami Kurt, réalisateur allemand en fuite, parce qu’auteur d’un documentaire contre le nazisme.

Le style très classique adopté par l’auteure nous permet de mesurer d’autant plus la valeur des écarts de conduite de Jeanne, jeune femme de bonne famille.
Une approche intéressante de l'amour conjugal à construire et à nourrir plutôt qu'à consumer.

Une réserve toutefois sur le titre, dont la signification est livrée en cours de lecture, ne restitue pas à mon avis, la couleur de ce roman.
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Les blessures des famille sont bien plus profondes, peut-être parce qu'elles connaissent le chemin du cœur.
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Tous les matins, elle boitait.

Par Mélinda Schilge





Comment établir un pont avec une jeune fille de mai 68 lorsqu’on est une femme qui a vécu sa jeunesse au sortir de la grande guerre de 14-18 ?

Plutôt que des leçons de morale, Jeanne choisit de déballer sa correspondance avec Marilène, sa cousine alsacienne qui est aussi la mère de Lucie.

Lucie découvre ainsi de l’intérieur, la vie de femmes qui n’avaient pas le droit de vote, dont la sphère d’influence se limitait à celle du foyer, et avaient besoin de l’autorisation maritale pour travailler. Années pas si folles que ça pour la plupart des femmes dont le statut était ni plus ni moins celui d’un incapable majeur.

Souvent dans les romans, l’émancipation d’une jeune fille passe par la découverte de l’amour et de la sexualité. Pour Jeanne, l’émancipation passera par le développement de sa conscience politique. La découverte de ses racines alsaciennes et l’immersion dans la branche de sa famille vivant dans une région redevenue française depuis peu, favorise l’éveil d’un autre point de vue, et lui permet de s’écarter du prêt à penser destiné aux filles. Elle assiste à la montée du nazisme et en pressent immédiatement le côté obscur.

Bravant les injonctions de son environnement, elle choisit son camp et s’y tiendra pendant la deuxième guerre mondiale, découvrant le pouvoir des images grâce à son ami Kurt, réalisateur allemand en fuite, parce qu’auteur d’un documentaire contre le nazisme.

Le style très classique adopté par l’auteure nous permet de mesurer d’autant plus la valeur des écarts de conduite de Jeanne, jeune femme de bonne famille.

Une approche intéressante de l'amour conjugal à construire et à nourrir plutôt qu'à consumer.
Une réserve toutefois sur le titre, dont la signification est livrée en cours de lecture, ne restitue pas à mon avis, la couleur de ce roman.
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