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Critique de Kirzy


Kaspar, un septuagénaire, libraire berlinois, part à la recherche de la fille inconnue de sa femme, écrivaine, fraichement décédée, après en avoir appris l'existence au détour d'un manuscrit miraculeusement retrouvé.

Tout est limpide dans ce formidable roman sur la réunification allemande. La première partie confronte deux regards, celui de deux Allemagnes, longtemps séparées : Kaspar, né en RFA, et Birgit née en RDA. Leur rencontre en 1964 à Berlin-Est, la naissance de leur amour, la fuite rocambolesque de Birgit pour le rejoindre définitivement à l'Ouest, sont racontée dans le texte retrouvé, une magnifique mise en abyme. Les mots de Birgit qui n'a jamais trouvé sa place en RFA résonnent très fort, d'autant que l'auteur les jauge à ceux de Kaspar qui n'a jamais vraiment compris qui était son épouse. La façon dont Bernhard Schlink peint les mystères du couple est d'une finesse rare, quand l'autre garde une part secrète qui fait qu'il reste une personne lointaine et étrangère à son conjoint. Après avoir lu le texte de Birgit, on relit les chapitres précédents à son aune et on lit les suivant imprégné de sa force.

La deuxième partie confronte toujours deux regards, mais cette fois issus de deux générations différentes, toujours celui de deux Allemagnes réunies dans un même pays mais radicalement opposés dans la façon d'envisager ce qu'est être une nation : Kaspar et la petite-fille du titre, Sigrun, adolescente de quatorze ans élevée dans le milieu Völkish, mouvement nationaliste d'extrême-droite glorifiant un passé germanique mythifié, ouvertement antisémite et négationniste.

C'est sans doute le mot « subtilité » qui caractérise le mieux ce roman. Bernhard Schlink aurait pu se contenter de raconter la RDA, la réunification, l'amertume de nombreux d'ex-habitants de l'Est, la vitalité du néo-nazisme à grands coups de paragraphes didactiques qui en auraient fait une arrière-plan historique costaud. Lui, au contraire, préfère montrer comment le poids de l'histoire fait son chemin dans les recoins les plus intimes des êtres, ce que les systèmes politiques ont fait aux âmes. Suggérer en comptant sur la perspicacité du lecteur plutôt que de professer sur la place du passé dans le présent : c'est ainsi que ressort toute la complexité de l'histoire allemande.

Lorsque Kaspar rencontre Sigrun, le drame se teinte des nuances du conte. le vieil homme et la petite-fille. Certains lecteurs auraient sans doute apprécié un style plus rentre-dedans, plus direct, moins « modeste ». Sigrun semble presque éthérée tant elle ne correspond pas aux standards de son âge, sa relation avec Kaspar peu crédible, la démarche de ce dernier semblant si naïve. C'est justement ce décalage qui m'a bouleversée.

Kaspar est un personnage terriblement émouvant par ses questionnements permanents pour essayer, non pas de comprendre, mais d'ouvrir les horizons de Sigrun qui érige Irma Grese ( tortionnaire d'Auschwitz ) en héroïne. Il n'a que sa bonté, son amour, sa culture à lui offrir, l'encourageant à penser par elle-même loin du poison distillé par son éducation, puis à développer son talent musical comme possibilité d'émancipation. La description de leur visite du camp de Ravensbrück est par exemple d'une superbe sobriété pour appréhender cet étonnant personnage de vieil homme, jamais il ne cherche à s'imposer ou imposer sa façon de voir. Il a en lui une pureté modeste qui irradie et en fait un des plus beaux personnages de grand-père lu dans la littérature.

Jusqu'à la fin, parfaite avec sa dernière phrase épurée à l'évidente simplicité, une phrase qui tire des larmes, sans que ces dernières n'aient été racolées, juste amenées avec l'intelligence et la sensibilité qui caractérisent l'entièreté de ce roman qui a totalement résonné en moi.
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