Que sait-on des morts, si ce n'est qu'un jour on leur ressemblera ?
Alors, pourquoi ?… Quel est le sens ?… Qui suis-je… Le soir, seul, je repense à tout ça… À Ky… Aux blessés sur la crête, à Lin… Aux autres, à des tas d'autres… À tous ces camarades à qui je dois… quelque chose… À Dien Bien Phu, surtout !… Au camp ! Pourquoi ne suis-je pas mort aussi ? À quoi ça sert !
Car vous seul donnez, mon Dieu,
Ce que l'on ne peut attendre que de soi
Les hommes aiment bien pisser sur quelque chose, voyez-vous
- comme les chiens d'ailleurs, je ne sais pas si c'est pour les mêmes raisons...
Je suis content et fier d'y avoir été, même s'il a fallu payer le prix de la captivité, parce que là-haut… Ah ! comment dire ?… Là-haut, on a eu des exemples, mon vieux. Des maîtres. Des patrons. Des capitaines ! Des hommes bien ! je ne parle pas seulement du courage, ce qui est essentiel… Je parle aussi de la manière aussi, la manière !… [...]
Oh je sais bien que ce n'est pas parce qu'on accepte de se faire tuer pour une cause que cette cause est juste. Mais je m'en fous de la cause… Je vous parle des hommes… Je pourrais vous donner la liste. De toutes les origines, de tous les rangs de l'armée. Il y en a je ne sais même pas leur nom. Je ne les ai vus qu'une fois. Je sens encore… leurs doigts sur mon cœur. Un seul type bien, vraiment bien, et ça change tout. Un seul ! Là-haut il y en avait plein ! Et ils avaient la manière. Je peux vous le dire…
Je n'aime pas les méditerranéens. Ils ne savent pas se tenir... Avez-vous vu leurs enterrements ? Dégoûtant !... Ces bonnes femmes, comme des éponges, tièdes de larmes et de transpiration ! Ces cris, ces glapissements !... J'ai passé trois ans en poste là-bas pendant la guerre d'Algérie, alors vous pensez que des enterrements j'en ai vu ! Arabes, Juifs, pieds-noirs. Je les mets tous dans le même sac. Ces gens-là ne savent pas se tenir... Et ils n'ont aucun sens de l'humour. Sans humour, la vie est difficilement tolérable... p.112
Que sait-on des morts, si ce n'est qu'un jour on leur ressemblera ?
Le lieutenant m'a cité une phrase de Wellington le lendemain de Waterloo : " Sauf une bataille perdue, rien n'est plus triste au monde qu'une bataille gagnée ! " (p.322)
Nous avons tous, à partir d'un certain âge un peu de mort en nous. On s'y habitue. Le matin en se rasant on reconnait chaque trait, chaque signe que le burin creuse chaque jour davantage dans la vieille carcasse...
On a tous menti un peu, dans le sillage d'Henri. Et Jachié est mort quand même ! Nos mensonges ne nous ont même pas permis d'obtenir une boulette d'opium pour le sauver… Oh, le Viet était content, il le pouvait, il avait gagné, on était devenu ses complices… J'y ai bien réfléchi : le mensonge c'est la pourriture… On ment trop dans le monde d'aujourd'hui !… Bon Dieu ! c'était quand même plus simple là-haut, sur les cinq collines… avec nos capitaines. On ne mentait pas…