Citations sur Mauvais coûts (46)
Dans la vie, les étrangers qui se frottent les uns aux autres pour le boulot ne s’arrêtent jamais pour se dire : « Eh mais, qu’est-ce qu’on fout là, nom de Dieu ? » On a tous envie de faire des pauses et ça nous saoule tous de faire semblant de croire à ce qu’on dit, mais on y va. On se dit que tout ça c’est des conneries et que la vraie vie on la manque et puis un jour on comprend : y a pas de vraie vie. La vraie vie, c’est justement ça : faire semblant de croire à ce qu’on dit, à ce qu’on fait.
C’était nouveau chez Arema, toute notre comptabilité était gérée en Inde. Oui, Monsieur : c’étaient des Indiens avec des noms tout pourris qui enregistraient les factures de nos fournisseurs. Ils ne comprenaient rien à nos contraintes, ils faisaient chier pour une virgule ou un centime et ils ne parlaient pas français. Nous, les Français, on parlait anglais grâce à Google traduction, alors se téléphoner pour s’expliquer, vous imaginez même pas.
Lundi, salle Van Gogh. Mes collègues acheteurs et moi-même étions alignés comme les chipolatas tièdes d'un barbecue raté. Itsuka, la merguez suprême, faisait fumer Power Point. Elle était debout derrière son Dell, le regard sur le mur de projection et les doigts sur le clavier, aussi concentrée et déjantée que les gars de Daft Punk pendant un live.
Cette soirée allait donner à Itsuka cent mille nouvelles bonnes raisons de se dire qu'elle avait bien raison de rester seule, de ne pas se mettre à la colle avec un homme parce qu'un homme c'est un boulet, un homme ça empêche d'avancer, un homme c'est un pneu crevé, un homme au fond ça veut juste piner des filles et pas trop s'en faire, ça veut en mettre plein la vue à maman et ça veut être écouté quand il pleure. Un homme, c'est chiant.
J'avais trois ans,je n'ai jamais revu ma mère. Quand plus tard j'ai demandé à Papa comment elle était, il m'a répondu qu'elle buvait plus que Gainsbourg et qu'elle etait le sosie de Paul Préboist.
Les députés sont la lie de la France, ils ne servent qu'à occuper des voitures de fonction, ils ne servent qu'à promener des chauffeurs. Ils jouent à je te tiens tu me tiens par la barbichette avec le Sénat, les sénateurs étant des députés plus vieux, plus gros, moins bruyants. Les députés sont élus pour s'insurger en public lorsqu'ils sont dans l'opposition et pour sucer des queues derrière des rideaux lorsqu'ils sont dans la majorité. Quoi qu'il en soit, ils ont toujours la bouche pleine. La seule expérience que peuvent acquérir des députés est l'apprentissage des postures, qui après quelques années devient une science: celle de l'imposture.
Elle envoyait, Itsuka. Moi, je souriais comme un gland : j'allais sur mes quarante-sept ans et c'était cette femme de trente-six ans qui menait la danse. On s'est tous fait couper les couilles, on n'a rien dit et le résultat est que ce sont les femmes qui manient le Power Point et nous qui matons leur cul en douce pendant ce temps-là. Misère. Misère... Misère ? Est-ce si grave ? On a moins de soucis. Les femmes ont pris les services en main et elles sont en train de nous montrer que l'égalité des sexes est une réalité puisqu'elles font de la merde exactement comme nous on faisait avant. Elles sont même un peu plus vaches, un peu plus putes. Elles laissent rien passer. Enfin. Voilà. Heureusement que nous on a les bistrots parce que, ça, on les a, et elles, elles iront jamais dedans. Elles savent pas comment ça marche, sans Power Point elles sont larguées. Elles savent pas discuter de trucs idiots en étant très sérieux, elles savent pas déconner sur des trucs graves. Elles sont chiantes et elles sont connes. Oui, c'est ça : les femmes sont chiantes et elles sont connes.
Le serveur nous a installés à la meilleure table, d'après lui. Pas très loin d'un aquarium où des poissons de toutes les couleurs tournaient en rectangle.
Mon regard s'est perdu dans l'open-space que je partageais avec les autres acheteurs. J'étais le plus vieux, j'étais un Néandertalien, j'étais une anomalie, j'avais commencé ma carrière dans un bureau et je la terminais dans un open-connards. Quand un fournisseur appelle pour payer un restau, on n'ose même pas dire oui. On se regarde tous. On n'écoute pas, non, c'est pire : on s'entend.
Bref, la vie. La vie merveilleuse de l'entreprise moderne et si chère à Itsuka, l'entreprise qui a quintuplé ses capacités avec l'informatique et ses outils récents. Le MRP. Le logiciel SAP. Tout ça. L'optimisation des flux, les flux tendus, la réduction des stocks et donc des coûts. Tout se résume à un seul verbe : optimiser. Tout optimiser. Y compris les personnes. Il ne nous reste plus qu'un dernier bastion à éradiquer : la pause-café, la convivialité. Parce que la convivialité, c'est du temps, et le temps c'est de l'optimisation manquée.