Il y a pire que les mystères, pire que les coïncidences : il y a les jumeaux et les jumelles. J'ai une sainte horreur du plan gémellaire. Il y a des films, des romans, des pièces de théâtre qui fonctionnent là-dessus. Récemment, un grand maître du roman policier s'en est servi pour une de ses intrigues. Et bien sûr même Shakespeare a fait le coup. Mais lui, on peut lui pardonner parce que c'était nouveau à l'époque.
Il fait encore jour à huit heures et demie quand j’arrive en ville. Je vais directement à Broadway et cherche à me garer pas trop loin du 722. A cette heure-ci de la soirée, trouver une place n’est pas très difficile.
Pourquoi Susie me mentirait-elle au sujet de la fin de sa liaison avec Anne ? Peut-être a-t-elle voulu embellir son rôle, me sachant lesbienne. Plus j’y pense, plus cela me semble plausible. Anne, après avoir admis les faits devant moi, n’aurait aucune raison de mentir sur cette partie de l’histoire.
Tout en me rendant à pied à SoHo, je pense à la réaction de Kip devant Cybill Shepherd et me demande si j’ai des raisons de m’inquiéter. Shepherd n’est pas lesbienne, c’est un fait, aussi il ne peut rien se passer de grave, mais si Kip s’est amourachée d’elle, ou je ne sais quoi, cela peut signifier qu’elle s’est lassée de moi. Ou n’est-ce de sa part que concupiscence ?
Je suis réveillée par un épouvantable vacarme. Je reconnais très vite les bruits de New York s’apprêtant à vivre une nouvelle journée. Même moi, je suis obligée de convenir que c’est pire que le raffut des oiseaux et des insectes. Mais c’est un bruit qui fait partie de ma vie.
Le réveil ne doit sonner que dans un quart d’heure, aussi je reste allongée sans bouger, ne souhaitant pas réveiller Kip. Comme tous les matins, ma première pensée est pour Meg Harbaugh. Je me demande combien de temps il en sera ainsi.
En comparaison de Almay Mcmann, Harold Black et sa mère vivent dans le luxe. Ils habitent Kripplebush, dans la commune de Rochester. La rue s’appelle Cooper et la maison à charpente se trouve à l’écart de la route au bout d’une allée. Un panneau monté sur un chevalet de scieur de bois annonce VOIE PRIVEE – INTERDICTION D’ENTRER. Toutefois, il y a des places pour se garer sur le côté de la route. Je n’ai pas pris la peine de prévenir de mon arrivée et me demande à présent si je n’ai pas commis une erreur, étant donné ce panneau. Au moins, on ne me demande pas de prendre garde au chien.
Comme j’arrive au niveau d’une des caravanes, la porte s’ouvre et Cybill Shepherd apparaît. C’est plus fort que moi, je me fige et la contemple.
— Salut, me fait-elle en souriant.
— Salut.
Elle est nettement plus grande que ce que je pensais et pas aussi mince, même si elle n’a pas la moindre once de graisse. Elle est vraiment très belle. Je prends soudain conscience qu’elle va jouer mon rôle. Si on peut dire. Rick et Susan ont basé leur personnage sur ma personne. C’est plutôt grisant.