Bon polar que j'ai lu en vacance, l'histoire est vraiment bonne et j'adore le style d'écriture de l'auteur
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Donato gara sa Chevrolet marron dans un terrain vague de Mulberry Street. On était vendredi après-midi, et ça faisait trente et une heures non-stop qu’il était sur le pied de guerre. Quand il était plus jeune, il était capable de travailler quarante-huit, voire soixante-douze heures d’affilée sans pause aucune, et de rester encore debout une demi- journée après ça, à dévorer un repas pantagruélique chez Puglio’s avec Johnny Amato et Pete Gould, avant d’aller s’envoyer plusieurs whiskys-bières de derrière les fagots au Kettle of Fish, pour finalement partir s’écrouler chez sa mère, se refusant à se montrer à Renata dans cet état. A présent, Amato était à la retraite, Gould était mort, et lui se contrefoutait de l’opinion de sa femme.
Dina avait pris le volant. Donato avait proposé de conduire, mais elle avait refusé. Elle avait déjà laissé entendre par le passé qu’elle n’aimait pas sa façon de conduire, oubliant que c’était lui qui lui avait appris. Il ne roulait pas assez vite, selon elle. C’était peut-être vrai. Et vrai aussi qu’avec l’âge, la peur augmentait. L’existence prend beaucoup de prix quand il vous reste moins de temps à vivre.
— Des armes ? Je suis pas au courant.
Donato s’avança jusqu’à lui, les poings serrés.
— Ta gueule, Johnson. Ferme ta sale gueule. Tu as de la chance qu’on ne t’ait pas explosé la tête quand McCarthy est morte. Mais ce n’est pas trop tard. Ta mort, ça peut s’arranger aussi facilement que ça.
Il claqua des doigts.
Johnson cilla.
Donato partit.
Le Chef, Hugh Halliday, était un quadragénaire mince. Ses cheveux autrefois blonds avaient viré au gris pâle, et son long nez avait connu son comptant de fractures. Des yeux bleus sous des sourcils broussailleux, un regard froid et sévère. Il portait un costume gris anthracite, une chemise rose pâle et une cravate rouge barrée d’une unique rayure gris foncé. Son épingle à cravate représentait une portée et une clé de sol. Il chantait des chansons sentimentales dans un quatuor vocal.
Il en était allé ainsi à chaque étape de sa carrière. Elle devait systématiquement démontrer qu’elle était exceptionnelle. Il lui fallait faire des efforts supplémentaires, se décarcasser, rester de service plus longtemps. Et elle était coincée : si elle faisait montre d’émotions, on disait qu’elle manquait de professionnalisme, et de féminité si elle restait impavide.