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Citations sur Équipée (145)

Ce n'est point au hasard que doit se dessiner le voyage. À toute expérience humaine il faut un bon tremplin terrestre. Un logique itinéraire est exigé, afin de partir, non pas à l'aventure, mais vers de belles aventures.
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L'homme riche ignore la sandale et méprise la marche. L'homme riche, bourgeoisement, s'en va-t-en chaise.
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Une ville populeuse, peuplée, mais non populacière. Ni trop ordonnée, ni trop compliquée. Les rues, dallées de ce large grès velouté, gris-violet, doux au fer des sabots et aux semelles ; des rues que l'échange des pas remplit, et pourtant où l'on peut trotter à l'aise à grande allure ; où les riches maisons de vente dégorgent incessamment les soies et les couleurs et les odeurs... même inattendues, des chaussures, minutieusement cousues, relèvent leur poulaine courte. Des jambons arrondissent leur fesse luisante ; des cordes de tabac et leur note grave ; des œufs rouges, d'une garance effroyable, des œufs peints, sont moins riches que la lueur ambrée et le verdâtre des œufs conservés, épluchés, leurs voisins. Ces délicats bijoux de plumes bleu turquoise, niellés d'argent ; des cuirs tannés, et des cuirs vivant encore ; des ceintures anciennes et ces cartouchières neuves... Voici des calots de soie mauve, et des coupons empilés, colonnes denses de soie, de soie dure, vendue au poids de soie, sous les teintures gris de pigeon, les verts de Chine, les grenats. Puis, des écheveaux affadis du rouge au blanc, laissant glisser le son comme une corde de luth dont on dévisse la clef. Ces denrées, ces matières papillotantes à l'extrême, encastrées méticuleusement dans chaque échoppe ou magasin, dont le cadre est fait de ceci : un beau noir et or. Les poteaux laqués du beau vernis brun sombre à luisants noirs et reflets roux, la laque de Tch'eng-tou, et non d'ailleurs...
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{Récit de voyage - 1914}

La femme chinoise, plus que toute autre, demande à être achetée. Comme dans tout marché chinois le rôle des intermédiaires est important, si important que la conquête de l'objet, fort atténuée par les débats nécessaires, aboutit péniblement à une pure et simple livraison.
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Un moment magique : l'obstacle a crevé. La pesanteur se traite
de haut. La montagne est surmontée, la muraille démurée. Le lieu
borné n'a plus tout d’un coup d'autres bornes que la feinte
prolongée de l'horizon. Deux versants se sont écartés avec
noblesse pour laisser voir, dans un triangle étendu aux confins,
l'arrière-plan d'un arrière-monde.
C'est tout à fait un autre monde. L'on grimpait jusque-là dans
les étroits fourrés humides où des sources pétillent partout, avec l'angoisse, inverse de la soif — le supplice de l'eau — d'avoir plus à
boire que l'on a soif. L'on heurtait souvent un versant vertical trop
proche, et collé sur les yeux, mais voici que derrière le col, la large
vallée descendante recule, ses flancs creux et roses, ses flancs
désertiques, desséchés par un autre régime des vents et du soleil.
C'est, de nouveau, la promesse haletante de désirs altérés, l'espoir
de tendre vers la source — que l'abondance des sources avait tari.
C'est aussi la transmutation dans l'effort. Ayant, jusqu'ici, tout fait
pour élever son corps, l'ayant porté à chaque pas, c'est
maintenant le corps qui se déverse, chute et entraîne. L'effort
change bout pour bout comme un sablier. Les genoux qui
soulevaient vont recevoir. Les jarrets actifs se font amortisseurs.
Les bras nagent dans un équilibre entrecoupé de cascade, et le
regard, précurseur aux bonds de dix lieues, plane et se pose à
volonté sur cet espace. Ceci est peut-être le symbole physique de
la joie ? La descente aurait-elle plus de joie que l'effort à la
hauteur, et cette vertu paradoxale de prolonger ce moment
essentiellement bref : le regard par-dessus le col.
Non. La descente est une chute déguisée, entrecoupée, et sans
même la beauté du vertige. La dévalée n'est qu'un emprunt au
saut de chèvre, une glissade raccrochée aux pierres et aux ronces.
Descendre est voisin de déchoir. Et rien ne vaut ce que j'imaginais.
Vite, les mouvements nouveaux, répétés et identiques, deviennent
insupportables. Les genoux se font douloureux, les chevilles
tournent et vacillent si je ne crispe la jambe pour éviter, à chaque
pas, le faux pas. Alors, le moindre bout de sentier plat est
reposant, et agréable, et, s'il remonte, fait regretter tous les
mérites de l'effort ascensionnel. Même, si la route n'était point la
route, c'est-à-dire impérieusement tendue vers ce point
imaginaire, — hors des monts et des ravins, — l'autre but,
volontiers je me retournerais vers la hauteur d'où je dévale pour
escalader à rebours et regagner le col. Le dévers a compensé et
mis en valeur balancée la puissance montante de l'avers, et
démontré surtout l'incomparable harmonie, la plénitude, l'inouï de
ce moment fait de contraires, le premier regard par-dessus le col.
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DANS LE GROS TORRENT, LE BAIN est toute une aventure non prévue ; un sport vif et frais de toute la peau, qui n’a pas appris à se sentir, certes, dans toutes les représentations esthétiques du nu. La littérature et la musique sont peu instructives à cet égard, et ne sont pas en cause ici. Les peintres seuls ont abusé du bain, et se servent couramment du nu avec une candeur ridicule. On ne peut être nu comme à souhait. On ne peut, sans déconvenues ni découvertes, les unes comme les autres, étonnantes, s’allonger tout d’un coup dans l’eau vivante du torrent. — D’abord, bien plus que la mer informe, l’eau courante, fuyante, furieuse et cascadante, a sa personnalité, sa pudeur, son étreinte, — véritablement son corps à corps. Le bain dans la mer ne fait point participer à l’infini des mers, et nulle marée Atlantique n’est perçue comme un halètement, si ce n’est par la plume sèche du poète terrien. Mais on vit de l’essor du torrent puisque l’on s’oppose à sa course. Et que le premier geste, en entrant dans le bain, dans le gros torrent, est d’avoir à s’opposer de toutes forces à lui.

C’est la première des surprises. On est puissamment bousculé. Aussitôt les pieds heurtés aux roches ou piqués de gravats font mal. Quand, enfin, l’on a retrouvé son assiette, on peut goûter la saveur sans cesse à l’indéfini renouvelée, de l’eau, sur les pores de la peau. — A l’encontre du sens un peu trop alimentaire du goût, que l’on ne peut ni ralentir ni retenir, et qui n’est pas réversible, et qui dépend si goulûment de la plénitude d’une poche ! la peau est un admirable organe étendu, mince et subtil ; et le seul qui puisse, pour ainsi dire, jouir de son organe jumeau : d’autres peaux, d’un grain égal ou différent, d’une tactilité, d’un dépoli sensible... Le regard seul a cet immédiat dans la réponse..., mais voir est si différent d’être vu ; cependant que toucher est le même geste qu’être touché... Et cependant les poètes et grands imaginaires, si féconds en échanges d’âmes à travers les prunelles, à travers des mots et la voix, à travers des moments spasmodiques si grossièrement réglés par la physiologie, — les poètes ont peu chanté l’immédiat et le charme et la jouissance de la peau.

C’est tout d’abord ce que la plongée au creux, au lit du grand torrent, révèle. Dès qu’on a retrouvé son assiette, on est étourdi, frotté, décapé, attaqué sur toutes les coutures. Le corps à corps avec toute l’eau descendue est complet et presque sans aides : la pesanteur, si cuisante dans la chute vraie, si vertigineuse au bas-ventre durant l’imaginaire de la chute —, la pesanteur n’existe presque plus, et le bon sol solide très habituel, père de l’immobilité, n’est ici représenté que par ces ronds et gros galets moussus, qu’on sent prêts à entrer en danse eux-mêmes, à se rouler dans l’eau, à fuir ; — et, pour comble, recouverts d’une peau verte, veloutée, fuyante et glissante aussi, sur laquelle on a moins de prises que sur l’eau...

L’eau heurte durement, lutte constante. Peu à peu la fatigue vient, avec le froid... le froid surprend, saisit et stupéfie. Sortant de ce grand et dur été aérien, de cet air enclavé de montagnes, chauffé, tout stagnant dans ses cuvettes d’où il monte en bouffées verticales, mais sans pouvoir s’animer jusqu’au vent traversier, - l’on ne croyait plus qu’il fut possible d’avoir froid, et l’on soupirait vers la fraîcheur irréelle... Le froid est tombé en ouragan fluide et divisé. Le froid avec le bruit éclaboussant. Avec la poussée continue ; et l’on sait d’où il vient : toutes les eaux, depuis deux mois de marche, coulent du Tibet, tout poche, et s’en vont à la mer, à plus de mille lieues... C’est l’haleine dure, le vent des cimes, la cascade du Tibet...

Grelottant, l’on sort du bain. Tout d’un coup repris par l’air tiède, puis chaud ; étonné de l’immobile serre qui vous reprend, où, de nouveau, il faut faire aller ses muscles massés et alanguis d’eau froide, et des baisers de l’eau renouvelée qui lave elle-même son baiser.
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L'en-allée topographique qui est une conquête sans cesse victorieuse du pays, une emprise intellectuelle, une compréhension aussitôt ordonnée, une mise en valeur, en cote et en fiches, du pays, de la région ainsi abordée, ainsi dominée ... au moyen de quelques lignes de niveau, de chiffres et de traits de convention.
Est-ce domination ou connaissance absurde ? Est-ce un gain ou une défaite ? Le pays blanc sur la carte est plein de reculé et fourmille de monstres. L'arrière-monde ici n'est plus qu'un peu de papier noirci. L'avant-monde, au contraire, à mesure qu'il recule et s'étrécit, se concrétise, se resserre, augmente la densité des possibles qu'il étreint, et permet tous les aiguillages, tous les écarts bifurcants.
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CEUX QUI "VIVENT" SUR LES HAUTS PLATEAUX, bout au vent des montagnes, sous la pluie et sous le temps ; Claudel et Mallarmé, Ronsard et Jules de Gaultier. — Ceux qui s’éparpillent : les écrivassiers de romans, surtout vécus. — Seul existe le Mot pour lui-même : le contour du style, la forme enfin. Tout "document" livresque disparaît ; et surtout l’anecdote.

Mais qu’un Claudel écrive : "La Buse plane dans l’air liquide" et voilà qui vaut en espace aérien le grand versant de l’air incliné aux flancs du mont.

Leitmotive durs comme la marche ascendante. Les phrases qu’on remâche comme les feuilles de la kola. Elles n’ont plus bientôt de sens, comme une feuille mâchée n’a plus de goût. Mais leurs propriétés, leur valeur énergétique restent grandes. Et le refrain tonne intérieurement à coups rythmés : "Je me souviendrai de toi, Ceylan !..." — "Délaisse les peuples vaincus, qui sont sous le lit de l’aurore..." Comme un Tyrtée chantant boiteux, les temps forts frappés d’un coup de hanche. Alors le pied se fait élastique. Le rythme intérieur a la dureté, la réalité de ce grès rouge qui bondit sous mes pas, de pas en pas.
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L'exotisme n'est pas celui que le mot à déjà tant de fois prostitué. L'exotisme est tout ce qui est Autre. Jouir de lui est apprendre à déguster le divers.
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Les provinces
traversées seront parfois désertes, et taillées dans un terrain
décomposé que dix mille années d'âge n'expliquent pas, et parfois
d'autres seront si bien peuplées que la riche terre plus rouge que
l'ocre et plus grasse que l'argile s'épuisera plusieurs fois dans
l'année à nourrir sa vermine sale, mais pensante, ses laboureurs et
ses fonctionnaires.
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