Citations sur Après la pluie, le beau temps (14)
MADEMOISELLE PRIMEROSE, entrant chez M. Dormère.
Eh bien, mon cousin, votre Georges vient de faire une jolie méchanceté.
M. DORMÈRE, souriant.
À Geneviève sans doute ? Il lui a emmêlé un écheveau de laine ou déchiré une robe ?
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Non ; je ne vous aurai pas dérangé pour si peu de chose ; ce n’est pas à Geneviève qu’il a joué un tour abominable, mais à moi.
M. DORMÈRE.
À vous, ma cousine ? Comment aurait-il osé ? Il y a sans doute quelque erreur.
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Aucune erreur n’est possible, monsieur, et quant à oser, votre méchant Georges ose tout. Pourquoi n’oserait-il pas ? Il sait qu’il n’y a rien à craindre.
M. DORMÈRE.
Mais qu’est-ce donc, ma cousine ? Veuillez m’expliquer…
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Ce sera facile à comprendre. Vous connaissez le portrait que j’ai fait de Rame ?
M. DORMÈRE.
Certainement, et peint avec beaucoup de talent. Est-ce que Georges se serait permis de le blâmer ?
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Ce ne serait pas un grand crime : d’abord il n’y connaît rien et son jugement m’importe peu ; et puis chacun est libre d’avoir son goût.
M. DORMÈRE.
Mais qu’a donc fait Georges ? Je ne devine pas en quoi il a pu vous fâcher à propos de ce portrait.
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Il a imaginé d’abîmer mon travail qui représentait un homme qu’il déteste, qui appartenait à Geneviève qu’il cherche à chagriner de toutes façons, et qui était fait par moi qu’il n’aime pas davantage. M. Georges est monté sur une chaise après avoir pris ma palette, mes couleurs et mes pinceaux ; il a barbouillé la figure de Rame, il lui a peint deux cornes sur la tête, il a couvert de noir son bel habit rouge ; et pendant qu’il était à ce beau travail, il a été surpris par Rame, qui n’était pas sorti avec nous et qui l’a pris sur le fait ; ainsi il ne pourra pas nier cette fois.
M. DORMÈRE, irrité.
Georges a fait cela ? Rame est-il bien sûr que ce soit lui ?
MADEMOISELLE PRIMEROSE.
Puisqu’il l’a vu, de ses deux yeux vu ! Rame a jeté un cri et il a couru dans le parc pour m’avertir ; nous sommes revenues avec lui et nous avons tous vu ce que je viens de vous dire.
M. DORMÈRE, avec colère.
C’est trop fort, en vérité ! Ce n’est pas supportable. Où est-il ?
RAME : — Moi content si jeune Maîtresse content; mais moi penser à ce pauvre Moussu Jacques. Lui tant aimer petite Maîtresse. Lui malheureux, pauvre Moussu Jacques!
(Casterman, p.168)
Après le dîner, M. Dormère se retira au salon et se mit à lire ses journaux qu’il n’avait pas achevés ; les enfants restèrent dehors pour jouer. Mais Geneviève était triste ; elle restait assise sur un banc et ne disait rien. Georges allait et venait en chantonnant ; il avait envie de parler à Geneviève, mais il sentait qu’il avait été lâche et cruel à son égard.
Pourtant, comme il s’ennuyait, il prit courage et s’approcha de sa cousine.
« Veux-tu jouer, Geneviève ?
GENEVIÈVE
Non, Georges, je ne jouerai pas avec toi : tu me fais toujours gronder.
GEORGES
Je ne t’ai pas fait gronder : je n’ai rien dit.
GENEVIÈVE
C’est précisément pour cela que je suis fâchée contretoi. Tu aurais dû dire à mon oncle que c’était toi qui étais cause de tout, et tu m’as laissé accuser et gronder sans rien dire. C’est très mal à toi.
GEORGES
C’est que…, vois-tu, Geneviève, … j’avais peur d’être grondé aussi ; j’ai peur de papa.
GENEVIÈVE
Et moi donc ? J’en ai bien plus peur que toi. Toi tu es son fils, et il t’aime. Moi, il ne m’aime pas, et je ne suis que sa nièce.
GEORGES
Oh ! Geneviève, je t’en prie, pardonne-moi ; une autre fois je parlerai ; je t’assure que je dirai tout.
GENEVIÈVE
Je dis la vérité, mon oncle. N’est-ce pas, Georges, que c’est toi qui m’as demandé d’aller dans le bois chercher des fraises ?
GEORGES, embarrassé.
Je ne me souviens pas bien. C’est possible.
GENEVIÈVE
Comment, tu as oublié que… ?
M. DORMÈRE, impatienté.
Assez, assez ; finissez vos accusations, mademoiselle. Rien ne m’ennuie comme ces querelles, que vous recommencez chaque fois que vous avez fait une sottise qui vous fait gronder. »
Geneviève baissa la tête en jetant un regard de reproche à Georges ; il ne dit rien, mais il était visiblement mal à l’aise et n’osait pas regarder sa cousine.
Georges. – Tu es ennuyeux, toi ; tu prêches toujours.
Jacques. – Je ne te prêche pas ; je te donne un bon conseil.
(p. 45-46, Chapitre 11, “Première sortie de Georges”).
Si je laisse ma fortune à Jacques, disait-il, au lieu de ma nièce chérie, Geneviève, c’est pour égaliser leurs fortunes ; ma cousine Primerose trouvera dans la rente que je lui laisse une expiation de mon injustice et de mon ingratitude à son égard pendant les longues années qu’elle a consacrées à l’éducation et au bonheur de ma nièce.
Mademoiselle Primerose :
Je parie que M. Dormère va faire comme toujours ; il lui dira à la doucette : "Mon Georges, tu as eu tort. Tu me fais de la peine, mon ami. Je t'aime tant, mon petit Georges. Sois sage à l'avenir ; ne recommence pas, mon chéri". Et voilà la seule réprimande qu'il aura. Et moi je veux le punir. Je veux vous emmener chez Mme de Saint-Aimar pour qu'il ne nous trouve pas. Dépêchons-nous ; marchons un peu rondement ; il ne pourra pas nous trouver ; il n'osera pas aller chez les Saint-Aimar ; il cherchera, il pestera, il sera furieux ; ce sera une juste et trop légère punition de son horrible conduite.
Jacques trouva l'idée excellente et doubla le pas tout en encourageant Geneviève, qui s'apitoyait sur Georges. Mlle Primerose, enchantée de son invention pour punir Georges, marchait aussi vite qu'elle pouvait, et se retournait souvent pour voir si elle ne l'apercevait pas. Bientôt ils furent hors de vue et ils ne tardèrent pas à arriver à Saint-Aimar, où ils furent reçus avec des cris de joie : les enfants étaient très contents de voir Jacques et Geneviève.
Ton cou-rage tôt ou tard sera récompensé, et dans ton ciel maussade brillera le soleil. Car après la pluie, dit-on, vient le beau temps..
Pourquoi y as-tu fait aller Georges, qui te suit partout comme un imbécile ?
GEORGES
Geneviève, veux-tu venir jouer avec moi ? Papa m’a donné congé parce que j’ai trèsbien appris toutes mes leçons.
GENEVIÈVE
Oui, je veux bien ; à quoi veux-tu jouer ?
GEORGES
Allons dans le bois chercher des fraises.
GENEVIÈVE
Alors je vais appeler ma bonne.
GEORGES
Pourquoi cela ? Nous pouvons bien aller seuls, c’est si près.
GENEVIÈVE
C’est que j’ai peur…
GEORGES
De quoi as-tu peur ?
GENEVIÈVE
J’ai peur que tu ne fasses des bêtises, tu en fais toujours quand nous sommes seuls.
GEORGES
Moi, je ne fais pas de bêtises ; c’est toi qui en dis.
GENEVIÈVE
Comment ! tu ne fais pas de bêtises ? Et ce fossé où tu m’as fait descendre ? Et je ne pouvais plus en sortir ; et tu as eu si peur que tu as pleuré.
GEORGES
J’ai pleuré parce que tu pleurais et que cela m’a fait peur. Tu vois bien que je t’ai tirée du fossé.
GENEVIÈVE
Et ce petit renard que tu as tiré d’un trou ! Et la mère qui est accourue furieuse et qui voulait nous mordre !
GEORGES
Parce que tu t’es jetée devant moi pendant que je tenais le petit renard qui criait.
GENEVIÈVE
Je me suis jetée devant toi pour que le gros renard ne te morde pas. Et tu as été obligé de lâcher le petit renard tout de même.
GEORGES
C’était pour t’empêcher d’être mordue ; la mère était furieuse ; elle déchirait ta robe.
GENEVIÈVE
Oui ; mais tu vois que tu fais des bêtises tout de même.
GEORGES
Je t’assure que je n’en ferai plus, ma petite Geneviève ; nous cueillerons tranquillement des fraises ; nous les mettrons sur des feuilles dans ton panier et nous les servirons à papa pour le dîner.
GENEVIÈVE
Oui, c’est très bien ! c’est une bonne idée que tu as là. Mon oncle aime beaucoup les fraises des bois ; il sera bien content.