Citations sur Le général Dourakine (9)
Un âne à deux pieds peut devenir général et rester âne.
Les enfants, à moitié endormis à l’arrivée, s’étaient éveillés tout à fait par le bruit, la nouveauté des visages, des costumes.
« C’est drôle, dit Paul à Jacques, que tous les hommes ici soient des sapeurs !
Jacques
Ce ne sont pas des sapeurs : ce sont les paysans du général.
Paul
Mais pourquoi sont-ils tous en robe de chambre ?
Jacques
C’est leur manière de s’habiller ; tu en as vu tout le long de la route ; ils étaient tous en robe de chambre de drap bleu avec des ceintures rouges. C’est très joli, bien plus joli que les blouses de chez nous. »
« Quoi ? qu’est-ce ? dit-il. Pourquoi empêche-t-on cet enfant de parler ? Pourquoi l’empêche-t-on de remuer ?
Madame Dérigny : — Vous dormiez, général ; j’avais peur qu’il ne vous éveillât.
Le Général : — Et quand je me serais éveillé, quel mal aurais-je ressenti ? On me prend donc pour un tigre, pour un ogre ? J’ai beau me faire doux comme un agneau, vous êtes tous frémissants et tremblants. Craindre quoi ? Suis-je un monstre, un diable ? »
Mme Dérigny regarda en souriant le général, dont les yeux brillaient d’une colère mal contenue :
Madame Dérigny : — Mon bon général, il est bien juste que nous vous tourmentions le moins possible, que nous respections votre sommeil.
Le Général : — Laissez donc ! je ne veux pas de tout cela, moi. Jacques, pourquoi empêchais-tu ton frère de parler ?
Jacques : — Général, parce que j’avais peur que vous ne vous missiez en colère. Paul est petit, il a peur quand vous vous fâchez ; il oublie alors que vous êtes bon ; et, comme en voiture il ne peut pas se sauver ou se cacher, il me fait trop pitié. »
Le général devenait fort rouge ; ses veines se gonflaient, ses yeux brillaient ; Mme Dérigny s’attendait à une explosion terrible, lorsque Paul, qui le regardait avec inquiétude, lui dit en joignant les mains :
« Monsieur le général, je vous en prie, ne soyez pas rouge, ne mettez pas de flammes dans vos yeux : ça fait si peur ! C’est que c’est très dangereux, un homme en colère : il crie, il bat, il jure. Vous vous rappelez quand vous avez tant battu Torchonnet ? Après, vous étiez bien honteux. Voulez-vous qu’on vous donne quelque chose pour vous amuser ? Une tranche de jambon, ou un pâté, ou du malaga ? Papa en a plein les poches du siège. »
À mesure que Paul parlait, le général redevenait calme ; il finit par sourire et même par rire de bon cœur. Il prit Paul, l’embrassa, lui passa amicalement la main sur la tête. « Pauvre petit ! c’est qu’il a raison. Oui, mon ami, tu dis vrai ; je ne veux plus me mettre en colère : c’est trop vilain.
— Que je suis content ! s’écria Paul. Est-ce pour tout de bon ce que vous dites ? Il ne faudra donc plus avoir peur de vous ! On pourra rire, causer, remuer les jambes ?
Le Général : — Oui, mon garçon ; mais quand tu m’ennuieras trop, tu iras sur le siège avec ton papa.
Paul : — Merci, général ; c’est très bon à vous de dire cela. Je n’ai plus peur du tout.
Mon préféré parmi les livres de la Comtesse de Ségur. Souvenir d'enfance.
Le général Dourakine s’était mis en route pour la Russie, accompagné, comme on l’a vu dans l’Auberge de l’Ange-gardien, par Dérigny, sa femme et ses enfants, Jacques et Paul.
Après les premiers instants de chagrin causé par la séparation d’avec Elfy et Moutier, les visages s’étaient déridés, la gaieté était revenue, et MmeDérigny, que le général avait placée dans sa berline avec les enfants, se laissait aller à son humeur gaie et rieuse. Le général, tout en regrettant ses jeunes amis, dont il avait été le généreux bienfaiteur, était enchanté de changer de place, d’habitudes et de pays. Il n’était plus prisonnier, il retournait en Russie, dans sa patrie; il emmenait une famille aimable et charmante qui tenait de lui tout son bonheur, et dans sa satisfaction il se prêtait à la gaieté des enfants et de leur mère adoptive. On s’arrêta peu de jours à Paris ; pas du tout en Allemagne ; une semaine seulement à Saint-Pétersbourg, dont l’aspect majestueux, régulier et sévère ne plut à aucun des compagnons de route du vieux général ; deux jours à Moscou, qui excita leur curiosité et leur admiration. Ils auraient bien voulu y rester, mais le général était impatient d’arriver avant les grands froids dans sa terre de Gromiline, près de Smolensk ; et, faute de chemin de fer, ils se mirent dans la berline commode et spacieuse que le général avait amenée depuis Loumigny, près de Domfront. Dérigny avait pris soin de garnir les nombreuses poches de la voiture et du siège de provisions et de vins de toute sorte, qui entretenaient la bonne humeur du général. Dès que Mme Dérigny ou Jacques voyaient son front se plisser, sa bouche se contracter, son teint se colorer, ils proposaient un petit repas pour faire attendre ceux plus complets de l’auberge. Ce moyen innocent ne manquait pas son effet ; mais les colères devenaient plus fréquentes ; l’ennui gagnait le général; …
Courage, mon ami, [dit le général Dourakine à Dérigny]. Je suis là, moi j'arrangerai votre vie comme j'ai arrangé celle de Moutier vous aurez vos enfants et encore du bonheur devant vous.
Le général avança jusqu’à la porte qui donnait dans l’appartement des enfants, et les fit tous entrer ; puis il alla vers la porte qui communiquait à la chambre de sa nièce, l’entr’ouvrit et lui dit à très haute voix :
« Ma nièce, j’ai amené les enfants dans leurs chambres ; je vais leur envoyer les bonnes, et je ferme cette porte pour que vous ne puissiez entrer chez eux qu’en passant par le corridor.
Madame Papofski
Non, mon oncle ; je vous en prie, laissez cette porte ouverte ; il faut que j’aille les voir, les corriger quand j’entends du bruit. Jugez donc, mon oncle, une pauvre femme sans appui, sans fortune !… je suis seule pour les élever.
Le général
Ma chère amie, ce sera comme je le dis, sans quoi je ne vous viens en aide d’aucune manière. Et, si pendant votre séjour ici j’apprends que vous avez fouetté, maltraité vos enfants ou vos femmes, je vous en témoignerai mon mécontentement… dans mon testament.
Madame Papofski
Mon bon oncle, faites comme vous voudrez ; soyez sûr que je ne… »
Tr, tr, tr, la clef a tourné dans la serrure, qui se trouve fermée. Mme Papofski, la rage dans le cœur, réfléchit pourtant aux six cent mille roubles de revenu de son oncle, à sa générosité bien connue, à son âge avancé, à sa corpulence, à ses nombreuses blessures. Ces souvenirs la calmèrent, lui rendirent sa bonne humeur, et elle commença sa toilette. On ne lui avait pas interdit de faire enrager ses femmes de chambre : les deux qui étaient présentes ne reçurent que sottises et menaces en récompense de leurs efforts pour bien faire ; mais, à leur grande surprise et satisfaction, elles ne reçurent ni soufflets ni égratignures.
Général, parce que j’avais peur que vous ne vous missiez en colère. Paul est petit, il a peur quand vous vous fâchez ; il oublie alors que vous êtes bon ; et comme en voiture, il ne peut pas se sauver ou se cacher, il me fait top pitié.
LE GÉNÉRAL. –ils feront de bons mariages; quant à Jacques, il épousera la fille d’Elfy; Paul épousera la seconde fille...»
NATASHA. – Mais Elfy n’en a qu’une, grand-père!
LE GÉNÉRAL. – Cela ne fait rien! Elle en aura une seconde! jour.