Il lisait en s'aidant d'une loupe, laquelle venait en seconde position dans l'ordre de ses biens les plus chers. Juste après le dentier.
- De quoi ça parle?
- De l'amour.
A cette réponse du vieux, il se rapprocha, très intéressé.
- Sans blague? Avec des bonnes femmes riches, chaudes et tout?
Le vieux ferma le livre d'un coup sec qui fit trembler la flamme de la lampe.
- Non. Ca parle de l'autre amour, celui qui fait souffrir.
Quand arriva l'heure de la sieste, il avait lu environ quatre pages et réfléchi à leur propos, et il était préoccupé de ne pouvoir imaginer Venise en lui prêtant les caractères qu'il avait attribués à d'autres villes, également découvertes dans des romans.
A Venise, apparemment, les rues étaient inondées et les gens étaient obligés de se déplacer en gondoles.
Les gondoles. Le mot "gondole" avait fini par le séduire et il pensa que ce serait bien d'appeler ainsi sa pirogue. La Gondole du Nangaritza.
Il en était là de ses pensées quand la torpeur de la mi-journée l'envahit, et il s'étendit sur le hamac avec un sourire amusé à l'idée de ces gens qui risquaient de tomber directement dans la rivière dès qu'ils franchissaient le seuil de leur maison.
Colons ou chercheurs d'or, tous commettaient dans la forêt des erreurs stupides. Ils la dévastaient sans prendre la moindre précaution et, du coup, certains animaux devenaient féroces.
Parfois, pour gagner quelques mètres de terrain, ils déboisaient n'importe comment, laissant sans gîte un gypaète qui se rattrapait en leur tuant une mule, ou alors ils faisaient l'erreur d'attaquer les pécaris à collier à l'époque de la reproduction, ce qui transformait ces petits sangliers en monstres redoutables.
Antonio José Bolivat Proano comprit qu'il ne pouvait retourner à son village de la Cordillère. Les pauvres pardonnent tout, sauf l'échec.
Il était condamné à rester, avec ses souvenirs pour seule compagnie. Il voulait se venger de cette région maudite, de cet enfer vert qui lui avait pris son amour et ses rêves. Il rêvait d'un grand feu qui transformerait l'Amazonie entière en brasier.
Et dans son impuissance, il découvrit qu'il ne connaissait pas assez la forêt pour pouvoir vraiment la haïr.
Quand survint la première saison des pluies, ils avaient épuisé leurs provisions et ne savaient plus que faire.
l
Il essayait de mettre des limites à l'action des colons qui détruisaient la forêt pour édifier cette œuvre maîtresse de l'homme civilisé: le désert.
l essayait de mettre des limites à l'action des colons qui détruisaient la forêt pour édifier cette œuvre maîtresse de l'homme civilisé: le désert.
C'était, dans l'obscurité, le bruit de la vie. Comme disent les Shuars : le jour, il y a l'homme et la forêt. La nuit, l'homme est forêt.
Quand un passage lui plaisait particulièrement, il le répétait autant de fois qu'il l'estimait nécessaire pour découvrir combien le langage humain pouvait aussi être beau.