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Critique de eugenange


Pour un premier roman, Diane Setterfield a placé la barre d'excellence très haut. D'emblée, on rentre dans cette histoire avec l'assurance dés les premieres pages, qu'on ne le lachera pas. La même capacité que Donna Tartt, l'écrivaine Américaine, à vous férer et à vous tenir.

Margarett Lea, cette spécialiste du roman Victorien, se voit donc invitée par cette mystérieuse Vida Winter, grande dame du roman anglais, afin de rédiger sa biographie.
Le problème, c'est que cette romancière reconnue de tous quand à la qualité de son oeuvre, a toute sa vie cherché l'incognito et a varié les versions sur son histoire, et même brouillé à souhait son identité.

On rentre donc ici dans une série de chausses trappes, de portes dérobées, d'arbres généalogiques bancales, et de visions s'apparentant à la présence de fantômes. Sachant qu'on nomme fantômes, souvent, ce que l'on est incapable de nommer autrement.

Vinda Winter ne serait elle pas au niveau symbolique, le point de rencontre de toutes les représentations inhérentes au roman gothique, et à tous ses mystères envoutants? Une sorte de manoir vivant, aux portes cadanassées à double tour, quoique prêt de s'effondrer, mais gardant tout de même de la superbe, allongée dans son lit, dicant ses mémoires.
La biographe reçoit avec prudence les confessions de la vieille écrivaine, très malade, sachant que celle ci a toujours été une menteuse pathologique, et veut vérifier ses déclarations, en parcourant les archives, et en se rendant sur le terrain.

Elle ira donc voir de visu le manoir familial, dont l'écrivaine prétend être issue, et dans lequel celle ci passa son enfance chaotique, en compagnie d'une soeur jumelle. Elle y fera d'étranges rencontres.
Ce n'est plus qu'une ruine, qui a été détruite par le formidable incendie, et à travers duquel le ciel apparait à travers les étages tombés les uns sur les autres.
Nous avons devant nous quelque chose qui ressemble à Manderley, ce manoir qui lui aussi finit rongé par le feu purificateur, et que Daphné du Maurier place au centre de son grand roman « Rebecca ».

Le monde des soeurs Bronté n'est pas loin non plus.
L'auteur elle même évoque le nom de ces romans puissants qui enflammèrent l'imagination de bien des lecteurs depuis presque deux siècles. « La dame en blanc » de Wilkie Collins, « Les hauts de Hurlevent » avec cette femme folle enfermée dans une aile du château, « Jane Eyre » et l'expérience gothique de cette jeune fille devant assurer une charge de gouvernante et se perdant en conjoncture sur les intentions du maître de maison. « Le tour d'écrou » le chef d'oeuvre d'Henry James, avec ses deux enfants déséquilibrés, et pervers, après avoir été témoin de choses qu'il n'aurait pas du voir, dans une histoire d'apparitions, que tente d'élucider la jeune gouvernante, est aussi au rendez vous.

Tous ces livres admirables, et qu'on ne peut que recommander, sont omniprésents dans le cheminement de l'oeuvre présente, et il n'y a guère de meilleure promotion pour eux, que ce très bon roman qui les évoque en écho, semblant faire des clins d'oeil malicieux au lecteur et à sa mémoire .
Très souvent au coeur du roman gothique, l'évocation du sort des femmes est omniprésent. Avec un statut juridique de mineur, le mariage est la grande affaire, comme le monde de Jane Austen le précise si finement dans « orgueils et préjugés ».
Mais la mort du mari, ou du père remet les choses totalement en perceptive, les déshéritant totalement. Toute l'oeuvre de Wilkie Collins s'est construite sur cette fatalité juridique.

L'auteur n'évoque rien d'autre de plus important que le sort de ces filles, qui sans aller jusqu'à atteindre l'infortune de ces deux jumelles laissées à elle même, réalisaient à l'époque en grandissant, que leur sort était bien précaire.
Le roman évoque, au delà des problèmes liés à la gémélité, autre continent inconnu, et source d'interrogation pour les autres, bien d'autres structures à l'oeuvre travaillant à la dynamique de l'histoire. Ainsi la présence si importante des " gens de maison", jardinier, cuisinière, enracinés dans l'histoire de ces demeures qui ressemblaient à des îles, mais dont la disparition montrait combien ils étaient irremplaçables.
L'écrivaine leur a laissé une place de première importance, dans la dynamique de son scénario à tiroirs, enfermant des poupées gigognes!....

Le seul regret qu'on a après un tel livre, est de l'avoir fini. C'est un vrai petit chef d'oeuvre. Il y a des pages d'anthologie, comme ce petit récit étrange tournant autour du tricotage d'une chaussette à deux talons, et dont l'irruption lié à l'étourderie dans les mains de la tricoteuse s'apparente toujours à une nouvelle terrible….
La force de l'écrivaine est manifeste dans sa facilité avec laquelle elle parvient à rendre singulière des choses minuscules, tel cet enfant aperçu dans les bois, un casque de chantier trouvé par terre, sur la tête, et baignant subitement dans un halo de lumière, alors que de loin, elle le prend en photo.

Voilà toute la grâce et la qualité d'un bon écrivain ; parvenir à nous rendre visible les fantômes, dont nous avons tant besoin pour vivre.
J'ai regardé la biographie évidemment de madame Sutterfield après avoir fermé ce livre. J'ai été étonné de découvrir qu'elle n'avait écrit que deux autres romans, en 14 ans. Les années , c'est vrai ne font rien à l'affaire, surtout qu'on on traite d'histoires liées au temps long, avec autant de talent.
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