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Critique de Nastasia-B


Finir oublié sous un parking avec un grand coup de poignard dans le derrière ! Quel destin, tout de même, quel destin ! C'était bien la peine de monter si haut pour finir si bas, tout compte fait. Étonnante, étonnante destinée que celle du houleux Richard III.

Je ne résiste pas à l'envie de vous entretenir de ce que vous ne trouverez pas, même dans les meilleures présentations, même dans la notice de la Pléiade, pour la bonne et simple raison que, pour la plupart, ces présentations de la pièce de William Shakespeare sont antérieures à la surprenante redécouverte du squelette de Richard III en 2012, comme je l'indiquais plus haut, sous un très ordinaire parking recouvrant l'ancien prieuré de Leicester.

À grand renfort d'ADN mitochondrial et d'analyses dernier cri ultra poussées, il fut donc démontré que le squelette scoliotique ainsi exhumé était bien celui du célèbre Richard III, mort d'un bon gros coup de hallebarde derrière la théière et mutilé par la suite (balafré, scalpé ?), enterré à la va-vite (sans doute assez peu présentable) dans le choeur d'une petite église locale, loin des fastes londoniens.

Il est intéressant, tout de même, ce personnage historique. Psychologiquement parlant, j'entends. Beaucoup de personnes ont une vie rocambolesque ou mouvementée, très sujette à être portée sur scène (ou à l'écran de nos jours). Mais parmi ceux-là, je remarque que ceux qui cristallisent le plus la fascination sont les êtres négatifs, au premier rang desquels on peut probablement citer Hitler.

Et là, je crois que William Shakespeare touche à de l'universel et, cela va peut-être vous faire sourire (ou au contraire vous allez trouver ça pathétique), mais j'ai l'impression que ma fille de huit ans m'a aidé à formuler cette réflexion. En effet, l'autre jour avec elle, j'ai re-re-regardé Kirikou et la Sorcière. Quel lien me direz-vous entre Kirikou et Richard III ? J'y viens.

Michel Ocelot dit s'être inspiré de multiples contes ou légendes africaines pour bâtir l'histoire de Kirikou. Mais ce qu'il y a mis de lui-même, c'est un questionnement d'enfant, c'est SON questionnement d'enfant, à savoir : « Pourquoi le méchant est-il méchant ? » Et ce questionnement d'enfant, même s'il est celui de Michel Ocelot est aussi et surtout un questionnement universel d'enfant : chacun de nous aime à comprendre pourquoi le méchant est méchant.

Karaba la sorcière avait une grosse épine plantée dans le dos et c'était à la fois la cause de sa haine et de sa puissance : l'énergie de la vengeance. le monde m'a fait mal ? Très bien, je ferai mal au monde et j'y mettrai toute ma haine, toute ma détestation à l'encontre de ceux qui ne souffrent pas comme moi. Car ma souffrance est injuste, le monde est injuste vis-à-vis de moi si je suis la seule à souffrir.

Revenons à Richard III. Lui aussi avait une grosse épine plantée dans le dos. L'analyse du squelette a révélé un grave cas de scoliose apparue probablement lors de la croissance entre 10 et 13 ans. Imaginez à présent ce qui peut se passer dans la tête d'un jeune homme qui voit son corps se déformer à vue d'oeil, devenir hideux, faible et contrefait.

Comme ce doit être humiliant, comme ce doit être injuste, comme ce doit être douloureux de voir les autres grandir normalement, devenir grands, forts et beaux quand vous, vous devenez tordu, faible et très peu désirable. Shakespeare écrit à l'acte III, scène IV : « Que vos yeux soient témoins du mal qu'ils m'ont fait. Voyez comme je suis ensorcelé : regardez, mon bras est desséché comme un rameau flétri ! » (Be your eyes the witness of their evil. Look how I am bewitch'd : behold, mine arm is like a blasted sapling, wither'd up.)

Comme l'injustice doit vous paraître criante. Si l'on se replace dans la pensée religieuse de l'époque, comme l'on doit croire à une malédiction divine (ou orchestrée par un tiers, la suite de la tirade accuse d'ailleurs ouvertement la femme d'Édouard d'être une espèce de sorcière jetant des maléfices).

De plus, vous êtes le quatrième fils de Richard Plantagenêt, 3ème duc d'York. Les honneurs seront pour les aînés et vous, vous ? Il ne vous restera rien, rien d'autre que cette grosse rancune et cette abominable scoliose qui vous fait marcher comme un crapaud. Si par hasard il arrivait malheur à votre frère aîné, Édouard, il resterait encore Georges (car, Dieu merci, le second fils, Edmond, a eu le bon goût de mourir précocement, enfin un peu de justice en ce monde bouffi d'iniquité).

Avez-vous encore une vraie bonne raison de croire en la bonté divine ? Certes non, alors vous apprenez la ruse et le vice, vous apprenez les sales coups, faits discrètement, l'air de rien. Vous apprenez l'art des faibles : la fourberie, l'hypocrisie, le double jeu. Et cela vous réussit. Peu à peu vos desseins s'accomplissent, mieux que vous n'eussiez osé l'espérer… Cela vous encourage, un acte vil entraîne un acte pendable, un acte pendable appelle une abomination… Et les forfaits s'accumulent, dans la douleur et dans le sang des autres.

Dieu n'existe pas, vous en êtes à présent absolument certain, car avec un tel chapelet d'horreurs au fond de votre poche, IL ne pourrait laisser faire pareilles ignominies s'IL était vraiment le Dieu de bonté et de justice qu'on prétend. Et s'IL n'existe pas, qu'est-ce qui pourrait bien vous arrêter, dites-le-moi ?

Bon, je m'éloigne et je divague, me semble-t-il. Qu'en est-il de la pièce de Shakespeare là-dedans ? Eh bien, ma foi, je la trouve à l'image de son sinistre héros : boiteuse, contrefaite mais non dénuée de certaines fulgurances, notamment dans les formules, qui la rendent tout de même intéressante.

Je ne peux pas dire que j'aie trouvé Shakespeare particulièrement subtil quant à la construction de son intrigue ou de son personnage. On est loin de Jules César, par exemple, où il avait su rendre tous les personnages complexes et finement ciselés. Ici, c'est du très gros, du très caricatural, les méchants sont bien méchants et les gentils gentils.

Certes, je n'oublie pas que le dramaturge n'avait pas l'avantage du recul comme avec les pièces antiques : il écrivait à peine un siècle après les faits, notamment pour des souverains qui détenaient leur pouvoir de la chute dudit Richard III. Donc il fallait bien qu'il soit un méchant absolu pour justifier des monarques actuels. Certes, certes, mais un peu de nuance tout de même, eût été appréciable, du moins l'eus-je grandement apprécié (je sens que je glisse de plus en plus sur ma " l'eus-je ").

Non, le canevas est grossier mais le fil à broder, lui, est parfois d'une finesse exquise. C'est particulièrement flagrant si on compare, à titre d'exemple Richard III et le Roi Lear. J'ai également éprouvé beaucoup de peine avec le canevas du Roi Lear et à très peu d'endroits j'ai été séduite par le verbe ou le sens de la formule. Ici, c'est tout différent. Beaucoup de répliques fusent et sont de purs joyaux d'orfèvrerie élisabéthaine.

Bref, pas trop ma tasse de thé quant au fond, bien plus séduite en revanche par la forme. Lisez, si le coeur vous en dit « La Tragédie de Richard III, avec le débarquement du comte de Richmond et la bataille de Bosworth » (titre complet de la pièce) afin de connaître comment se termina la fameuse Guerre des deux Roses opposant les horribles Lancastre aux infâmes York (tous plus ou moins descendants de rois de France, ce n'est pas une référence !) racontée à la sauce Shakespeare.

Et encore, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, qu'il ne vaut pas grand-chose, en tout cas beaucoup moins qu'un cheval. Un cheval ! Un cheval ! Mon avis pour un cheval !
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