Adania Shibli est une autrice palestinienne, qui aurait dû recevoir un prix littéraire en octobre 2023. Mais la Foire du Livre de Francfort a fait le choix de déprogrammer cette remise de prix suite aux attaques du Hamas, afin de rendre "les voix israéliennes particulièrement audibles". Ce mélange des genres, ces amalgames et ce boycott révoltant m'ont poussée à acheter ce livre.
L'autrice nous raconte une histoire en deux parties. Premièrement, l'enlèvement, le viol et l'assassinat d'une jeune Bédouine, par un groupe de soldat israéliens en 1949, dans le désert du Néguev, territoire désertique du Sud du nouveau territoire israélien. Ensuite, la quête d'une palestinienne au début des années 2000, qui prend connaissance de ce fait divers (que dis-je : de ce crime de guerre) dans le journal, et qui devient obsédée par cette histoire, attirée par un "détail mineur" : le fait que ce se soit passé 25 ans jour pour jour avant sa naissance.
La lecture est intense, puissante, on lit presque en apnée. L'écriture est chirurgicale, précise, détaillée. Dans la première partie, cela se manifeste par la description minutieuse du soldat-chef, protagoniste principal, de son obsession pour l'hygiène, de l'ambiance étouffante du camp dans le désert. Dans la deuxième partie, l'écriture est plus mordante, sarcastique. Elle montre l'absurdité de certaines situations, ou plutôt elle montre par l'absurde, l'horreur de ces situations. La description fournie des détails du quotidien rend tangible ce que signifie l'occupation de façon concrète, pour les palestinien·nes.
Je garderai cette lecture très longtemps dans mon coeur, et certains passages me resteront en mémoire - je me souviens notamment du discours particulièrement glaçant du soldat-chef motivant ses troupes à "nettoyer" le Néguev, texte édifiant qui participe à mieux comprendre comment l'État d'Israël a justifié son entreprise de colonisation : le soldat-chef israélien, protagoniste principal de la première partie du livre, à des troupes, 1949 : "Nous devons consacrer toute notre force et notre détermination à la construction de cette province de notre jeune Etat, tout comme il nous faut la protéger et la préserver pour les générations à venir. Cela implique que nous allions débusquer l'ennemi, plutôt que d'attendre qu'il surgisse, car, comme on dit, celui qui veut te tuer, tue-le en premier.
"Nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder ces immenses territoires, capables d'absorber des milliers de gens de notre peuple en exil, laissés à l'abandon, sans quoi nous ne reviendrons jamais dans notre patrie. Il y a des milliers d'années, nos ancêtres sont passés par cette contrée qui aujourd'hui nous semble une terre inculte, avec rien que des infiltrés, quelques Bédouins et leurs chameaux. Si les Arabes, en vertu d'un stérile sentiment national, refusent que nous vivions dans cette région et persistent à nous combattre, préférant qu'elle demeure un désert, alors nous devons agir en tant qu'armée, car personne n'a plus de droit que nous sur cet endroit qu'ils ont négligé pendant des siècles, le livrant en pâture aux Bédouins et à leurs troupeaux. Je dirais même qu'il est de notre devoir de les empêcher d'y vivre et de les en chasser définitivement. Car d'une manière générale ces gens-là ne cultivent rien, ils arrachent! Leur bétail avale tout ce qui pousse sur son passage, si bien que, jour après jour, le peu de verdure qui s'y trouve disparaît. Tandis que nous, au lieu de les laisser dans cet état, désolées et dépeuplées, nous ferons l'impossible pour permettre à ces immenses terres de fleurir et de devenir habitables. C'est ici précisément que nous mettrons à l'épreuve notre force pionnière et créative, lorsque nous parviendrons à transformer le Néguev en une région prospère et civilisée."
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