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Critique de Bequelune


En écrivant la biographie d'une femme née au début du 20 siècle, Christian Signol signe un hommage à la nature et aux causses du Lot. Un texte d'une grande poésie à la sensualité douce, bruissante du cri des oiseaux et des pierres chauffées au soleil.

La genèse de l'histoire est très rapidement racontée en fin d'ouvrage : Signol a rencontré Marie, alors octogénaire, sur la place d'un village d'Occitanie dans les années 1980. Elle aimait prendre de longues heures au soleil. Ils ont sympathisé, elle lui a raconté son histoire, il a décidé d'en faire un livre.

Nous sommes donc en 1901 dans les causses du Lot. Un vieux berger trouve une très jeune enfant abandonnée dans la nature avec une pancarte, qui donne le nom de Marie. Il décide de la garder, les services sociaux laissaient encore faire ce genre de choses à l'époque. C'est pour le meilleur, car la petite est élevée par ce vieil homme, mais aussi par les deux employeurs du berger : un couple de cultivateurs plus aisé qui n'a jamais réussi à avoir d'enfant. Marie vivra dans leur ferme jusqu'à la mort du couple, en partie accompagné par un garçon de ferme recruté dans une exploitation voisine. Arrivé à l'âge adulte, les deux jeunes gens se marieront d'ailleurs. Si le couple va connaitre plusieurs malheurs (la perte de la ferme, un enfant mort né, un autre tué pendant la Guerre de 39-45), ils vivront globalement heureux dans une masure au milieu des causses, lui se faisant pierrier (exploitant d'une carrière de pierres, et maçon à l'occasion), elle restant tous les jours de sa vie bergère.

La première dimension du livre, c'est d'abord cette histoire qui nous plonge dans un monde pas si vieux (entre 1901 et 1985 ; pour moi, c'est la génération de mes arrières grands parents qui sont d'ailleurs du même coin de France que Marie), mais pourtant complètement révolu. Un monde où on marchait beaucoup, où on vivait au contact direct des animaux, un monde assez pauvre mais où la sociabilité et la solidarité villageoise semblait largement compenser le manque matériel. Cette histoire, c'est aussi celle d'une époque qui change. Après les guerres, si douloureuses même dans ce coin du monde à l'écart du conflit, vient de gros bouleversements : les enfants qui quittent le village pour aller dans les villes, la fin des petits boulots artisanaux, l'arrivée des voitures et des machines en tout genre. Ça me rappelle une phrase de ma grand-mère : « On est passé de la misère à la surconsommation ».

Pourtant, Marie n'élude pas les difficultés qu'il pouvait y avoir. La pauvreté, bien sur, mais aussi la condition féminine. Elle dit qu'elle a eu de la chance de tomber sur son mari, d'autres au village étaient battues. Mais le livre, globalement, préfère s'attarder sur l'optimisme et la douceur de vivre.

La deuxième dimension, c'est celle, racontée avec beaucoup de poésie et de sensualité, d'une femme pleinement vivante dans sa nature. Les causses du Lot n'ont jamais été aussi bien chantés. En lisant, je rêvais à ces paysages nullement troublés par le bruit des voitures, où ni les insectes ni les oiseaux n'avaient été décimés par une agriculture défoncée aux pesticides. Quand Marie décrit ses bonheurs simples de dormir au contact des brebis dans la paille, ou de se coucher sur les pierres chauffées au soleil, le talent de l'auteur est suffisant pour qu'on sente les odeurs des bêtes, le parfum des genévriers, les danses des papillons sur les plateaux occitans.

Alors certes, ici ou là, il y a des passages un peu réac. On sent que Marie (ou peut-être Christian Signol) a du mal à se faire à cette nouvelle société, qu'elle juge individualiste, détournée des plaisirs simples, de la vraie vie qui se découvre au contact du vent et des brebis. Mais ça ne dure pas longtemps, le texte revient vive chargé d'optimisme, c'en est presque trop, presque niais.

Mais à l'heure où la biodiversité s'effondre, j'avoue avoir du mal à ne pas donner au moins un peu raison à cette Marie des Brebis, vive et sauvage, même dans ses vieilles années.
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