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Critique de karmax211


Lire - le chat -, c'est consentir à se défaire de l'imposante présence des deux géants qu'étaient Gabin et Signoret mis en scène par Pierre Granier-Deferre.
Tout au moins pour les lecteurs de ma génération, cinéphiles admirateurs d'un Alexis Moncorgé dont c'est le dernier grand rôle digne de sa légende, et de "Madame Rosa" Césarisée... à moins que vous ne préfériez la rivale de Marilyn Monroe, première actrice française oscarisée en 1960 pour son rôle dans " Les chemins de la haute ville".
Quoi qu'il en soit, très vite, à ma grande surprise, ces deux mythes s'effacent pour laisser la place aux personnages de Simenon.
Pourquoi ?
D'abord parce que physiquement, l'une et l'autre sont aux antipodes de leurs figures cinématographiques ; Marguerite est une petite femme frêle, voûtée par les ans... rien à voir avec Signoret qui, même vieillissante n'était ni petite ni menue. Quant à Émile Bouin, homme très grand, large d'épaules, le torse velu de crins noirs...en lui je n'ai pas reconnu Gabin... et ce fut tant mieux.
Ensuite, parce que l'adaptation de Granier-Deferre s'est passablement éloignée de l'histoire imaginée par Simenon.
Pour l'anecdote, il est bon de savoir que cette histoire a été inspirée à son auteur lors d'une visite à sa mère à Liège dans les années cinquante.
Celle-ci vivait avec un nouveau compagnon.
Ces deux êtres vieillissants ne s'adressaient quasiment plus la parole et exprimaient leur haine l'un de l'autre via leurs animaux.
Simenon en 2 semaines ( chaque fois que je lis un de ses romans, je suis épaté par la capacité que le père de Maigret avait d'écrire en si peu de temps de si grands ouvrages) en fait - le chat -, un roman dont l'histoire narre le face-à-face d'un vieux couple de septuagénaires. Marguerite, petite bourgeoise a demi ruinée, superficielle et autocentrée. Émile Bouin, retraité du bâtiment, maçon d'origine, homme venant d'un milieu populaire, qui s'est fait tout seul.
Veufs tous les deux... Marguerite D un musicien, premier violon à l'opéra de Paris, Émile d'une fille de son milieu, simple, naturelle, gouailleuse, ils ont décidé d'unir leurs solitudes pour le... pire sans le meilleur.
Leurs différences, sociale, culturelle, de personnalités, de goûts, les mènent très vite sur le chemin de la haine et de l'incommunicabilité.
Émile a ramené avec lui son chat Joseph ( nom du mari de la Vierge et père adoptif du Christ... pour Marguerire... c'est un blasphème, un sacrilège, une offense à sa croyance ), un matou de gouttière auquel il est très attaché, avec lequel il dort et dont Marguerite a peur et qu'elle déteste.
Marguerite a un perroquet en cage, auquel, elle aussi, tien beaucoup.
On remarque au passage, à travers leurs animaux respectifs, la vision du monde de l'un et l'autre.
Un chat de gouttière... libre et indépendant, pour l'un.
Un ara encagé, pour l'autre.
Alité à cause d'une mauvaise grippe, Émile ne peut pas s'occuper de Joseph.
Marguerite affirme s'en charger... jusqu'au moment où le chat ne donne plus signe de vie.
Inquiet Émile part à sa recherche.
Il retrouve Joseph mort... empoisonné.
Pour Émile la coupable ne peut être que Marguerite.
En "représailles", Émile déplume le cul du perroquet, met les plumes du malheureux volatile dans un pot de fleurs... en guise de bouquet.
Le perroquet meurt des suites de sa "décomposition florale".
Marguerite le fait empailler.
Le perroquet reprend sa place dans la cage au milieu du salon... si Émile vient à nouveau à s'en prendre à lui, il aura affaire à la police.
On ne peut pas naturellement ne pas penser à Félicité et à Flaubert dans la relation très ambiguë entre Marguerite et son perroquet empaillé... auquel elle chuchote des mots qu'Émile n'entend pas.
À partir de ce jour, la très catholique et très pratiquante Marguerite, informe Émile, par écrit, que sa foi lui interdit le divorce, mais que désormais elle n'adressera plus la parole au meurtrier du perroquet.
Dans ce huis clos oppressant, les deux personnages ne vont plus communiquer que par le biais de petits mots écrits sur des bouts de papier.
Leur dialogue se résume essentiellement à ces récriminations et à ces insultes : "le chat", "le perroquet", "tu peux crever".
L'histoire n'est pas linéaire.
Simenon d'entrée nous livre les victimes et leurs coupables... encore que si le doute n'est pas permis concernant le meurtrier du perroquet, il le restera jusqu'à la fin pour le ou la meurtrière de Joseph.
L'histoire n'est donc pas linéaire mais faite d'un puzzle de flash-backs, durant lesquels Simenon complète par des touches biographiques nombreuses le portrait de ses deux personnages, rencontre, comme l'a dit un critique " de la carpe froide et du chaud lapin".
Ce drame de la solitude, de la vieillesse, de l'incommunicabilité est l'étrange composé de la haine qui, parce qu'elle se meurt d'un fol amour inaccessible parce que antithétique, n'a d'autres chemins que sa dissolution dans le néant.
Comme toujours avec Simenon, on ne quitte ce roman, comme la plupart de ceux qu'il a écrits, qu'avec les poches emplies de souvenirs. Un roman psychologique empreint d'une puissante vitalité charnelle.
La sensualité est à la mesure du Simenon que l'on connaît... Nelly la patronne de bistrot chez laquelle Émile cherchera refuge, est une ex-prostituée qui, désormais, s'offre à ses clients... pour leur plaisir ou pour le sien ( ? )... un thème en tout cas très "simonien"...
On hume et on salive aux emplettes détaillées des deux protagonistes.
Je sens encore le parfum des oignons que Georges fait rissoler.
Le vin rouge bouché, les verres de Sancerre et la fumée âcre des petits cigares... sont quelques-uns des souvenirs dont Simenon a garni mes poches.
Un auteur qui sait raconter la vie, qui sait faire vivre la vie... jusqu'à la mort.
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