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Critique de Biblioroz


Qui n'a pas aperçu derrière la fenêtre d'une maison bretonne la silhouette d'une maquette de bateau de pêche traditionnel, témoin d'une autre époque où les bateaux étaient en bois ?
Une coque colorée et des voiles cachou, des tangons qui lui donnent une allure d'insecte, caractérisent le dundee thonier. C'est dans le berceau de ces voiliers de travail que nous invite Georges Simenon, pour partager une tranche dramatique de la vie d'un armateur, à Concarneau.

Jules Guérec, armateur de quarante ans, revient de Quimper après une réunion du syndicat des patrons pêcheurs. Son permis fraîchement acquis, il n'est pas très à l'aise pour conduire dans l'obscurité sur cette route tortueuse. Il aurait pu, il aurait dû quitter la ville plus tôt et ses pensées se bousculent, l'empêchant de se concentrer sur la route. S'étant octroyé une petite pause chez une prostituée, il va devoir se justifier, auprès de sa soeur aînée, pour les cinquante francs manquants dans son portefeuille. Arrivé à Concarneau, sursautant à chaque fois que quelque chose passe dans la lumière des phares, il accélère au lieu de freiner lorsqu'une silhouette d'enfant surgit. le choc le fait trembler mais la peur le fait fuir, sans se retourner.
Il imagine un mensonge crédible : la perte de son portefeuille. Ses soeurs semblent accepter l'excuse mais Céline, la plus jeune, perce chez son frère le moindre changement, le scrute et lit en lui comme dans un livre ouvert.
Ils vivent, en effet, tous les trois dans la maison familiale; lui travaillant à l'armement, elles, tenant la maison et tissant le cocon chaleureux dans lequel il est traité comme un coq en pâte.
Mais l'accident va faire basculer ce petit monde, révéler le côté obscur de cette vie confortable, préservée, mais au combien dépourvue de liberté, d'indépendance. Alors qu'ils ont tous trois la quarantaine, les dépenses doivent être justifiées, pas de cigarette, pas d'alcool…
Hanté à l'idée de ce qu'il a commis, il se sent aimanté par la maison où vivait cet enfant avec sa mère et son frère dans une grande pauvreté.

Autour des affres de Jules Guérec, la ville de Concarneau se dessine au fil du texte ciselé de Simenon. Une drague ramenant le sable, le passeur d'eau, les remparts, le port de pêche. On est en novembre. « Il pleuvait toujours, ou plutôt c'était si fin, si régulier si monotone, qu'on n'avait pas l'impression que l'eau tombait du ciel. Elle était en suspension dans l'air, une poussière d'eau froide qui reliait les pavés aux nuages ».
On notera le récit d'une pêche au chalut qui sonne comme un reportage.
Bien sûr la psychologie des personnages est décryptée, tracée, mais sans jugement. On sent que ceux-ci font ce qui est dans leur nature malgré les alertes de leur conscience notamment pour Jules Guérec.
Sur fond de lutte des classes, ce dernier va se frotter à la pauvreté, réaliser par exemple que lorsqu'il a la flemme d'envoyer ses bateaux en pêche, cela se traduit par la famine de son équipage.
Le dilemme sera de choisir entre la préservation de la respectabilité de sa famille et le déshonneur de la situation dans laquelle il va se fourvoyer. Ces gens-là tremblent à l'idée de perdre leur confort alors que les pauvres n'ont rien à quoi se rattacher, ils subissent la vie avec résignation.
Jusqu'où peut-on aller dans le déni pour préserver son image ?

Ce petit roman, comme tous ceux de l'auteur, est un nouveau voyage au coeur de l'humain, d'une époque, d'un lieu précis, tout simplement. C'est à la fois simple et exhaustif.
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