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Critique de Woland


Un "Maigret" à l'intrigue minimaliste. L'action se déroule à Paris, chez les Josselin, dont le mari, René, est retrouvé assassiné par balle, dans son salon, alors que sa femme et sa fille se sont absentées pour assister à une pièce de théâtre. Il est vrai que le Dr Fabre, époux de Véronique, la fille, était passé vers les vingt-et-une-heures trente pour la traditionnelle partie d'échecs avec son beau-père. Seulement, appelé par sa propre domestique pour qu'il allât visiter un petit patient, 28, rue Julie, le médecin n'est resté qu'une demi-heure à peine. Rue Julie, au numéro indiqué, il n'a trouvé aucun malade, petit ou grand . Croyant à un malentendu téléphonique, le pédiatre a alors fait le tour de tous les numéros se terminant par un huit. Mais là encore, pas de malade. Voyant l'heure tourner et ayant un petit opéré à surveiller à l'Hôpital des Enfants Malades, où il travaille, Fabre a ensuite bifurqué par là et n'est par conséquent pas revenu achever la partie d'échecs commencée avec son beau-père.

L'arme du crime, on le repère bien vite, n'est autre que l'automatique que Josselin abritait, depuis des années, dans un tiroir de son bureau. Mais, comme de juste, il a disparu. Quant à l'assassin et à ses mobiles, c'est le mystère complet. Evidemment, les policiers sont bien excusables s'ils songent en premier au Dr Fabre, dernière personne de son propre aveu, hormis l'assassin, à avoir vu la victime en parfaite santé. Mais lorsque l'on vérifie son alibi pour le moins agité entre la rue Julie et les services des Enfants Malades, il s'avère qu'il n'a dit que la stricte vérité. de même, Mme Josselin et sa fille ont été vues et revues au théâtre. Mieux : elles n'ont pas quitté la salle lors du premier entr'actes et sont revenues en avance, avant que le second, plus long, eût pris fin.

Pour en revenir au défunt, Maigret apprend que René Josselin, qui s'était fait une confortable fortune dans la cartonnerie, s'était mis en retraite depuis quelques années parce qu'il souffrait du coeur. Il va de soi - Maigret en grimacerait presque de dégoût - qu'on ne lui connaissait que des amis. "Un brave homme," tels sont les termes qui, invariablement, reviennent pour le désigner. D'ailleurs, qu'on écoute les commerçants, la concierge, les relations professionnelles, les serveurs occasionnels, toute la famille Josselin est sympathique, même si Mme Josselin passe pour un peu guindée. Pour le Dr Fabre, c'est encore mieux : il soigne un maximum d'enfants, notamment ceux dont la famille n'a pas beaucoup de moyens et, bien qu'il puisse prétendre à une chaire professorale dans sa spécialité, avec tous les avantages que cela inclut, il préfère à tout cela son travail à l'Hôpital des Enfants Malades et le petit cabinet particulier qu'il a ouvert, après son mariage. A son sujet, certains parlent même de "sainteté", c'est tout dire.

En tant qu'homme, Maigret est bien content pour eux mais, en tant que policier, que voulez-vous qu'il fasse, lui, de son côté, avec cette pléthore de dithyrambes ? Tous ces "braves gens" sont bien gentils mais il n'en reste pas moins que l'un des leurs, René Josselin, a été assassiné et, comme il n'y a pas traces de lutte, il l'a forcément été par un familier qui, en outre, savait où se trouvait l'automatique.

Alors, qui ? qui donc ? Et surtout pourquoi ? Oui, pourquoi tuer un brave homme qui ne vit que parmi de braves gens ?

Tel un limier qui a perdu la piste, Maigret tourne en rond, chose, on l'admettra, assez rare chez lui. Flairer dans tous les coins, comme à son habitude, "prendre l'air" de la maison et se faire une idée plus ou moins exacte des gens mêlés à l'affaire, la chose lui est ici des plus difficiles. Partout des nuées d'encens, partout des larmes d'attendrissement, partout des monceaux de sympathie - partout des yeux qui s'arrondissent à la simple idée que Josselin ait pu être assassiné. Et quand ils apprennent que rien n'a été volé, que l'appartement n'a pas été saccagé, les témoins, connaissances, relations sombrent dans de véritables abîmes de perplexité ... S'ils ne connaissaient pas la réputation de Maigret, certains croiraient presque qu'il leur tend un piège ou leur fait une farce stupide. Mais c'est loin d'être le cas.

Notre commissaire sent bien, pourtant, que quelque chose lui échappe, qu'on ne lui dit pas tout. Mais il lui faudra batailler dur, et aussi que la chance s'en mêle, après la visite faite par Torrence au sixième étage de la maison, dans les chambres réservées aux domestiques, pour qu'il parvienne, non sans mal, à saisir fermement le premier bout de l'inextricable pelote, puis à en défaire méthodiquement les noeuds. La solution était à la fois simple et naturelle et ces braves gens qu'étaient les Josselin dissimulaient en fait depuis des années un secret bien lourd que, par solidarité familiale, le Dr Fabre avait été obligé lui aussi d'endosser en promettant le silence.

Au final, "Maigret & Les Braves Gens" n'est peut-être pas un "grand Maigret" mais le lecteur passe un bon moment à se poser toute une foule de questions et à formuler en son for intérieur des hypothèses qui ne reposent en fait sur rien d'autre que des apparences compromettantes. A lire tranquillement, sans chercher un personnage qui sorte vraiment de l'ordinaire - l'assassin, peut-être, et encore ... - et en suivant les méandres d'une analyse psychologique pour une fois un tantinet paresseuse mais toujours tracée de main de maître. ;o)
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