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Critique de StCyr


Les mémoires intimes de Simenon, catharsis et tentative de fixer et d'arracher à l'oubli l'histoire d'une vie et d'une famille, comme pour “comprendre et ne pas juger” selon la devise de Simenon, est un témoignage précieux pour la compréhension de l'homme dans son intimité, celle d'un véritable papa poule. C'est au crépuscule de sa vie, alors qu'il n'écrit plus, que Simenon entame un dialogue déchirant et mélancolique avec sa bien aimée fille Marie-Jo, troisième de ses enfants, depuis près de deux ans partie trop tôt, bien trop tôt, arrachée de l'existence par la difficulté de vivre. En fait il s'adressera à chacun de ses enfants, personnellement, en un dialogue fictif transcendant la distance et l'absence, pour conter la naissance de chacun, leur éveil à la vie, leur progrès dans l'existence et leur évolution vers l'âge adulte.

Pour commencer, il revient sur sa propre jeunesse à Liège, celle d'un enfant plutôt pauvre élevé dans un stricte respect des convenances et de la religion. Puis c'est l'arrivée dans un Paris pluvieux, gris et morne, mais la joie et l'espérance au coeur. Il devient garçon de bureau pour une ligue d'extrème droite, secrétaire d'un marquis. Enfin il rencontre celle qui deviendra sa première épouse, Tigy, artiste peintre, avec qui il connait la vie de bohème, l'âge d'or de la dèche, où un jeu de draps jeté sur des bottes de pailles constituait le plus charmant des lits. Il fait ces premières armes dans la presse écrite; puis c'est la naissance de Maigret: Pietr-le-letton, écrit en pleine flottaison sur une barge croupissante alors qu'on recalfate son bateau. On y découvre un Simenon grand voyageur, avide de rencontres, de paysages, de tout ce qui nourrit l'oeuvre d'un écrivain. Homme à femme, aux besoins sexuels impérieux, aux meurs très libres, très à l'aise avec ses deux amantes et sa femme sous le même toit, il est néanmoins jaloux quand la passion le saisit. On vit l'attente anxieuse et impatiente du futur père, les joies de la paternité avec son premier fils Marc. Puis c'est les bruits de bottes,les atermoiements de l'Europe face à l'éructant Hitler, l'envahissement de la Pologne, des Pays-bas, de la Belgique, la mobilisation générale. Nommé haut-commissaire aux réfugiés belge en France, puis changeant régulièrement de demeures au gré des circonstances, quand la santé du petit exigeait, ou tout simplement au gré de ses humeurs, il vit somme toute fort bourgeoisement et tranquillement, en Vendée, alors que le pays vit l'angoisse et la pénurie de l'occupation. Il a su tisser des liens solides avec d'illustre artistes tels Cocteau,Pagnol, Chaplin et surtout avec Jean Renoir. Puis il s'embarque pour l'Amérique du Nord,où il s'y mariera pour la deuxième fois,avec Denise, qui sera la mère de ces trois autres enfants.Denise est une femme profondément insatisfaite, qui se sent faite pour une vie brillante de dîners mondains, de cocktails dans la haute société et de réceptions fastueuses. Avec le temps elle s'avère être tyrannique et violente avec toute la maisonnée; sombre dans l'alcoolisme, puis dans un déséquilibre psychologique patent, pour finalement s'abaisser à un mesquin chantage à seul fin de soutirer le maximum d'argent à Simenon qui reste légalement son mari. On partage les déchirements et les tentatives de Simenon pour sauver son mariage et la cellule familiale, sa "tribut". Avec Marie-Jo qu'il a eu à cinquante ans, Simenon se sent une affinité particulière : son regard pathétique, sa quête d'amour, son hypersensibilité, son inadaptation à cette vie le touchent; elle porte un amour démesuré et pathétique pour son père, une véritable adoration. Puis c'est la vieillesse de l'écrivain, un regard apaisé sur la vie, sur son amour avec Teresa, sa dernière compagne,sur les vrais plaisirs d'une vie simple, celle des “petits” dont il s'est toujours sentit faire partie malgré la fortune qu'il a battit avec sa vaste production littéraire

Comme le titre l'indique, se sont surtout des mémoires intimes, celle d'un père grand bourgeois, collectionnant les voitures de luxes, les résidences somptuaires, les voyages aux antipodes. La fin du volume est saisissante et émouvante tant la douleur d'un père est dite simplement, avec pudeur, avec justesse et prend toute sa dimension tragique, pathétique et déchirante avec le livre de Marie-Jo, cri lancé dans le silence oppressant de l'univers par une âme qui se perd dans la solitude de ses angoisses indissolubles.
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