" C'est pourtant absolument de cela qu'il s'agit : le prolongement de la réalité qu'éclaire la poésie, moins caché que négligé, est un ailleurs mais un ailleurs dans l'ici, ou ce que Henri Michaux nomme très justement un "lointain intérieur". La poésie donne à saisir et à vivre l'épaisseur et la profondeur du réel, rappelant et prouvant qu'il n'en est pas une seule part, même la plus infime, la plus banale, la plus apparemment négligeable et insignifiante, qui n'ait son au-delà, son étendue imprévue."
(extrait de "D'une réalité plus grande que la réalité") pp. 53-54
"elle est l'exploration continuelle de toutes les formes possibles de la parole humaine et la preuve donc de son irréductible liberté. La poésie est même le lieu d'une liberté sans limites." (p.12)
Pourquoi y a-t-il partout, depuis toujours, de la poésie plutôt que non ? Parce que pour se faire entendre et comprendre l'insurrection de la conscience fait émeute dans la langue qui la réprime, ouvrant un accès imprévu à la part manquante du réel - celle où couve le feu de tous les possibles.
D'une part, la poésie est un combat contre la pente naturelle et fatale de toute langue, dans son usage social, à imposer une lecture fermée et univoque de la réalité, contre donc sa tentation totalitaire. D'autre part, la poésie nomme une farouche insurrection de la conscience contre tout ce qui ampute la vie de sa force désirante, de son aspiration même à s'affranchir de toutes limites (p. 29)
Comprendre, ce n'est pas tout comprendre (personne n'a encore tout compris de "l'Odyssée" ou de "Une saison en enfer"), Ne pas tout comprendre, même si la langue est claire comme l'eau de roche d'un haïku, est précisément le signe qu'on est dans le poème. (...) On peut le dire autrement avec l'ami Perros: « La poésie n'est pas obscure parce qu'on ne la comprend pas, mais parce qu'on n'en finit pas de la comprendre ». (p. 83)
Le poème est un seuil qui mène à l'intensité perdue d'une présence pleine à soi, au tout de la vie, à la vertigineuse intensité du réel et à l'ivresse d'être qui naît en nous de simplement l'approcher.
Faire l'éloge de la poésie, c'est faire l'éloge de cette beauté-là, ardeur et audace d'une contre-langue qui élargit la conscience et élève le coeur.
Je fais l'éloge dans la poésie d'un art fondateur irrécupérable par la société du divertissement, du spectacle, de l'effet de l'image, de la gloriole médiatique, irrécupérabilité dont est la preuve sa valeur marchande nulle au regard de tous les autres arts comptables de leur coût et par là requis par le chantage à l'audimat d'en rabattre sur l'enjeu poétique. La pauvreté des moyens de la poésie, conversation de l'âme à l'âme, pour le dire à la façon Hölderlin, est la garantie de son intégrité.
(...) (une attitude poétique dans la vie) consiste notamment à lire le monde, ses visages et ses paysages, comme il faut qu'on lise un poème: affamé d'inconnu et ouvert à l'illimité du sens.
La poésie d’un rien fait un monde.