Psi-changeling, tome 13 : Le bouclier de givre

— Je n’ai pas envie d’une vie confortable et sûre, Jaya. J’ai envie de passion, de fureur et de Vasic.
Un sourire hésitant étira les lèvres de Jaya.
— Moi aussi, chuchota-t-elle. (Sa peau brun foncé scintillait au soleil.) Sauf que je n’ai pas envie de ton Vasic. Sans vouloir t’offenser, il n’arrive pas à la cheville de mon Abbot.
Ivy regarda l’autre femme.
— Rapproche-toi, dit-elle sur un ton solennel. Il faut que j’examine tes yeux... puisque, de toute évidence, tu es devenue aveugle.
Comme elle était tombée dans le piège d’Ivy, Jaya lui poussa les épaules puis elles éclatèrent de rire, les doigts entrelacés.

— On est trop impliqués, avait dit Ivy Jane quand elle avait demandé à Sahara de se charger de cette tâche. Le torrent d’émotions sur le Net accapare notre attention... On a besoin de quelqu’un qui soit capable de voir les schémas récurrents, et tu as été la première à voir celui-ci. Et puis tu n’es peut-être pas une empathe, mais tu es très empathique et apte à traiter avec nous.
Sahara s’était attelée à la tâche avec plaisir. Quand Kaleb lui avait fait remarquer qu’il s’agissait techniquement d’une sorte d’exercice de maths, elle avait laissé échapper un cri étouffé et lui avait dit qu’il venait de la poignarder en plein cœur. Puis elle l’avait attrapé par la cravate pour l’attirer vers elle et l’avait obligé à s’excuser

Les héros sont souvent les gens les plus discrets dans une pièce, ceux qui tiennent le moins à revendiquer ce titre. De tels hommes et de telles femmes se contentent de faire ce qui doit être fait sans s'attendre à la moindre reconnaissance ni renommée. C'est dans leur nature de protéger, de faire rempart et de lutter contre les ténèbres, quelle que soit la forme qu'elles prennent.

Il soutint le regard de la femme que Judd appelait la compagne de Kaleb, et dont les humains disaient qu'elle était son amante. Kaleb l'appelait simplement sienne. Et il avait besoin de savoir qu'elle comprenait, qu'elle était de son côté.

— À moi, dit-elle, d’esprit à esprit. Tu es à moi. Chaque souffle, chaque cicatrice, chaque perfection, chaque défaut, chaque part de lumière, chaque part de ténèbres. Ça fait partie de toi, et c’est à moi.
Vasic frémit et s’effondra sur elle.
— L’homme que j’étais, l’homme que je suis, l’homme que je serai, l’homme que je veux être, ils t’appartiennent tous. Toujours.

Son père n’avait jeté aucune des affaires de Sahara après sa disparition. C’était une photo d’elle et de Kaleb, prise avec l’appareil photo du bloc-notes. Ils avaient été assis sur une branche d’arbre, et Sahara riait tandis qu’il se servait de sa télékinésie pour faire flotter le bloc-notes et l’amener dans la bonne position pour prendre le cliché.
Cette photographie avait depuis trouvé sa place au centre du mur gauche de leur salon, à côté d’une image de Sahara avec son père. La veille, il avait discrètement ajouté une autre photo à la collection : Sahara lovée sur le canapé, qui fronçait les sourcils et montrait les dents en regardant quelque chose sur l’écran du tableau de communication. Elle avait ri en la voyant et promis de se venger. Kaleb savait que ce mur allait se couvrir de petits bouts de leurs vies au fil du temps.

Ivy se moquait des détails techniques du pourquoi et du comment. Elle savait juste que Lapin l’avait sauvée en même temps qu’elle le sauvait. Maigre mais obstiné, il s’était glissé sous sa main quand elle restait assise le regard vacant, l’avait poussée du museau jusqu’à ce qu’elle cède et caresse son pelage abîmé. Quand ses doigts avaient été secoués de spasmes et qu’elle avait laissé tomber les pommes qu’elle tentait de cueillir, il les avait prises dans sa gueule pour les mettre dans son panier. La détermination de Lapin lui avait donné l’impulsion de ravaler ses larmes de frustration et d’essayer de nouveau.
Sans relâche.

Si ça c'est être égoïste pour toi, souffla-a-t-elle en serrant les cuisses pour tenter vainement de calmer son ardeur, je ne survivrai jamais à ta générosité.

— Pour la défense de Krychek, marmonna le chef des SnowDancer, je dois dire qu’il a les couilles d’un éléphant.
Mercy recracha son café en toussant, les larmes aux yeux.
— Un éléphant ? (Elle dévisagea le chef des SnowDancer tandis que son compagnon, Riley, lui frottait le dos.) Tu es sérieux ?
Hawke haussa les épaules.
— Qu’est-ce qui en a de plus grosses ?
— Il n’a pas tort, dit Lucas d’une voix traînante à côté de Sascha.

— Les Flèches ne tiennent pas compte de l’instinct, mais il est indéniable que notre temps de réaction dans certaines situations est si bref qu’il peut être catégorisé comme tel.
Se tournant vers lui, Ivy replia une jambe sur le perron comme elle avait l’habitude de le faire, laissant à peine trois centimètres entre son genou et la cuisse de Vasic.
— Comment appelez-vous ça, alors ?
— Répéter et s’entraîner jusqu’à ce que la réaction à avoir en cas de situation problématique soit gravée dans nos cellules.
— Comment ? chuchota-t-elle tout bas. Comment vous apprennent-ils ?
Il songea au bras qu’on lui avait cassé à d’innombrables reprises enfant jusqu’à ce qu’il cesse de pleurer, à la boîte étouffante dans laquelle on l’avait enfermé jusqu’à ce qu’il apprenne à réguler psychiquement la température de son corps, aux salles de privation sensorielle où on l’avait jeté jusqu’à ce qu’il arrive à supporter le néant, puis il regarda Ivy.
— De banales répétitions quotidiennes.