Il y a quelques critiques de cela, je me vantais de voir venir de loin les différents rebondissements qu'ont tendance à nous réserver les thrillers psychologiques.
A force d'en lire, je commence à bien comprendre les ficelles utilisées par les auteurs, et je prête autant d'attention à ce qui se passe qu'à ce qui ne se passe pas, à ce qui est caché au lecteur ou seulement sous-entendu, ce qui me permet de tirer des conclusions souvent judicieuses.
Et là, peut-être que je ne me suis pas assez méfié ? Peut-être que KL Slater ( qui n'en n'est pas à son coup d'essai même s'il s'agit de son premier roman traduit en français ) a davantage de malice que certaines de ses concurrentes ?
En tous les cas, je n'ai pas vu venir grand chose et le plaisir de lecture est toujours multiplié lorsqu'on tombe finalement dans le panneau.
Dans le genre policier dont je suis si friand actuellement, ce sont bien aux thrillers psychologiques que va ma préférence.
Evidemment, il m'arrive d'être déçu par certains romans, et certains ne présentent aucune originalité.
D'ailleurs, si je vous dis que l'intrigue d'
Evie tourne autour d'une fillette disparue, vous allez penser lire une nouvelle fois un roman sur une histoire déjà archi rebattue (
le couple d'à côté de
Shari Lapena,
Sous nos yeux de
Cara Hunter,
Une bonne intention de
Solène Bakowski,
Sans Elle d'
Amélie Antoine ... et encore, je ne cite que les romans que j'ai lus cette année ). Pourtant, j'ai aimé ( voire adoré ) la majorité desdits romans parce qu'un même thème peut se décliner de tellement de façons différentes en fonction de l'angle choisi ou du déroulé des évènements.
La perte d'un enfant fait partie des peurs les plus ancrées en nous, c'est faire face à une tragédie dont il est d'autant plus difficile de se relever que la police en arrive toujours à vous soupçonner. Alors que vous ne savez même pas si votre gosse est encore en vie ou pas, s'il a été victime d'un pédophile, s'il a eu un accident, s'il a été enlevé par une folle en mal d'enfant.
"J'ai décidé de croire qu'
Evie est toujours en vie ; que quelque part elle vit et respire."
Mais quel que soit le thème abordé, je crois que si je dévore autant de polars de ce genre, c'est parce que l'identification aux personnages est beaucoup plus simple puisqu'il s'agit majoritairement de personnes comme vous et moi confrontées à des évènements étranges, insoutenables, dramatiques qui bouleversent un quotidien au départ si similaire au notre : Des secrets de famille enfouis, une tragédie inattendue, des monstres manipulateurs sous leur apparence angélique ...
Comment ne pas se mettre dans la peau de ce pervers narcissique qui n'a pour seul but que de briser totalement son épouse ? de ce cannibale qui enlève les petites filles pour dévorer leurs petits doigts de pieds potelés ? de cette mère désespérée qui empaille sa fille de trois ans pour oublier qu'elle est morte ?
Des originalités, il y en a plusieurs dans le roman de KL Slater.
A l'instar du non moins excellent
Parfois je mens d'
Alice Feeney, la narratrice est plongée dans un profond coma, et à défaut de bouger elle est cependant consciente de tout ce qui se passe autour d'elle dans sa chambre d'hôpital.
Les médecins hésitent à débrancher son respirateur : Elle ne sortira de toute façon pas de son état végétatif.
"Je suis prise au piège à l'intérieur de moi-même, comme un insecte dans de l'ambre."
Le problème, c'est que la vie de la petite
Evie est entre ses mains, et que la sauver dépend uniquement de sa faculté à rassembler ses souvenirs ... et à se réveiller.
"Pour
Evie, je dois continuer à me battre, si désespérée que ma situation puisse paraître."
La mère d'
Evie arrivera-t-elle à sortir de son apathie à temps ?
Là où la majorité des thrillers commencent avec la disparition d'un enfant, celui-ci fait un bond de trois années dans le passé en nous présentant
Evie et sa maman, Toni, qui emménagent dans le Nottinghamshire.
On fait doucement connaissance avec cette famille anéantie, tout en sachant qu'un autre malheur va arriver, telle un épée de Damoclès.
Parce qu'une grande partie du suspense résidera dans la disparition sous-jacente de la petite
Evie, cette adorable petite fille de six ans. On la sait inéluctable, on sait aussi que la mère a une part de responsabilités.
"Vous n'aviez qu'une chose importante à faire : prendre soin d'elle."
Mais qui, quand, comment ?
Le lecteur n'en sait rien et se demandera plus d'une fois si ce moment est enfin arrivé.
Cette future disparition est aussi angoissante que révoltante. Parce que le lecteur a largement le temps de sympathiser avec Toni Cotter et sa fille.
Toni a déménagé pour vivre près de sa mère et tenter de tirer un trait sur un passé particulièrement douloureux, puisque son mari Andrew est mort en Afghanistan.
Si elle est parfois en conflit avec sa mère, elle fait cependant tout pour s'adapter à son nouvel environnement.
"Ma mère savait toujours tout mieux que moi. Comment mener ma vie, comment élever ma fille ... La liste était interminable."
Elle trouve un nouveau travail dans une agence immobilière, elle inscrit sa fille dans une nouvelle école, elle fait connaissance de ses nouveaux voisins.
Son unique défaut est de prendre de forts anxiolytiques qui ont tendance à l'assommer, mais comment le lui reprocher étant donné l'enfer qu'elle et sa fille traversent encore ?
"Un comprimé de temps à autre ne comptait pas vraiment. Je n'étais pas dépendante."
"Ces comprimés étaient tout ce que j'avais. Tout ce qui me séparait de l'effondrement."
Elles sont à peine installées qu'un étrange incident va se produire : Toni va recevoir un bouquet de fleurs dans lequel un essaim de guêpes a été dissimulé.
"C'était forcément un acte de malveillance."
Quelqu'un surveille froidement leur emploi du temps, leurs sorties, leurs réactions et prend des notes.
Et parmi toute une galerie de personnages en grande majorité féminins, l'auteure attire volontairement notre attention plus particulièrement sur trois suspectes potentielles qui font partie du proche entourage de Toni et d'
Evie.
D'abord il y a Sal, sa voisine, aussi inquiétante qu'édentée, intrusive, et dont le fils aîné sort tout juste de prison.
Ensuite il y a Bryany, la patronne de Toni. Particulièrement antipathique, reine des magouilles immobilières, elle n'hésite pas à affecter Toni à des tâches subalternes bien inférieures à ses compétences. Et pourtant, sa désagréable attitude va changer du tout au tout en rencontrant la fillette. Elle se métamorphose face à
Evie, totalement charmée par cette enfant, elle qui n'a jamais pu en avoir.
Et pour finir, l'inquiétante Harriet Watson, l'assistante pédagogique d'
Evie, qui a à coeur de prendre la fillette sous son aile moralisatrice. Humiliée constamment par sa mère, cett
e vieille fille secrète et ambiguë a cependant des idées bien arrêtées sur l'éducation que doivent recevoir les enfants. Et semble avoir des projets bien particuliers pour
Evie, jouant à un double jeu malsain.
Après de premières pages où les principaux personnages nous sont présentés, la tension se met à grandir. Au fil des chapitres, de ces retours en arrière, peut intervenir à tout instant la disparition de la fillette. On a beau savoir qu'elle est écrite, le fait d'ignorer qui, quand, comment et pourquoi constitue malgré tout un point d'orgue attendu, une angoisse permanente d'autant qu'on a appris à apprécier la famille Cotter et qu'on sait à quel point la mère et la fille, qui ont déjà tant souffert, sont condamnées à un châtiment bien plus terrible encore.
Le danger semble venir de partout à la fois, par petites touches exponentielles, et bien sûr le lecteur ignore s'il faut privilégier l'une des trois pistes proposées par KL Slater qui sont autant de fils conducteurs ... ou s'il doit chercher ailleurs un autre coupable.
A moins que la vérité ne soit encore plus complexe.
Trois années plus tard
Evie est-elle encore en vie ?
Quelles seront les circonstances de sa disparition ?
Et qui tire réellement les ficelles de cet enlèvement programmée ?
En voudrez-vous à Toni pour son moment d'inattention, malgré sa fragilité ?
Ce n'est certes pas un roman en tous points parfait. Certaines relations entre les personnages auraient mérité d'être approfondies. Les explications finales sont assez succinctes, et si tout finit par s'emboîter sans laisser trop de questions en suspens, le final est relativement précipité surtout si l'on tient compte qu'en parallèle l'intrigue prend tout son temps pour avancer progressivement, distillant au compte-goutte de petits indices.
Mais ce livre demeure une lecture que je conseille à tous ceux qui comme moi apprécient ce genre littéraire non seulement de par les quelques surprises qu'il devrait également vous réserver mais aussi parce que sa construction est originale, que sa lecture est aisée, que les personnages sont tous travaillés de façon à être crédibles, qu'ils soient attachants, détestables ou psychologiquement dévastés.
KL Slater ne s'est donc pas contenté d'écrire un simple roman de plus tournant autour de la disparition d'une petite fille, non seulement en arrivant à insuffler un suspense différent des romans du même genre, mais également en laissant passer un message important comme elle l'explique en postface :
"J'ai été fascinée par la façon dont le public et la presse semblaient presque s'intéresser davantage aux éventuelles erreurs commises par les parents qu'à l'identité des ravisseurs."
Comme si l'enlèvement était davantage lié à la seconde d'inattention d'un père ou d'une mère qu'au criminel lui-même.
Tant les êtres humains ont cette faculté de juger d'une minuscule erreur que n'importe qui pourrait pourtant commettre.