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Critique de RobertFillon


Possible que Romain Slocombe n'ait pas "la carte" (pour reprendre l'expression d'Olivier Adam dans un article récent). En d'autres termes qu'il ne puisse pas s'appuyer sur les "réseaux" qui font les réputations. Bonnes ou mauvaises, peu importe, d'ailleurs : l'essentiel est qu'on parle d'un livre. Quand bien même on en dirait du mal, il se trouvera toujours quelques centaines de personnes qui, piquées de curiosité, iront tout de même l'acheter. "Avis à mon exécuteur" nous arrive dans un silence total de ceux qui font métier de lire et de parler de ce qu'ils ont lu. L'éditeur aurait-il négligé le service de presse ? C'est bien peu probable. Seul un article de "Slate" est venu attirer notre attention sur l'indifférence qui entoure cette parution. Et nous signaler à quel point c'est injuste.

Pourtant, nous n'en sommes plus à l'époque où raconter les atrocités du stalinisme pouvait passer pour une ignoble collusion avec la bourgeoisie fascisante. "L'Archipel du Goulag" est passé par là, nous avons tous lu Soljenitsyne en tremblant, convaincu sans l'ombre d'un doute que cette parole était véridique et qu'il était temps qu'elle trouvât à s'exprimer. D'autres auteurs, mémorialistes ou romanciers, sont passés par là : dénoncer le pouvoir de Staline comme abominable et inhumain ne condamne plus personne à subir les foudres des redresseurs de torts idéologiques. Ce silence est donc vraiment mystérieux.

Pourtant, Romain Slocombe nous offre un récit palpitant autant que tragique. Victor Krebnitsky, le narrateur de la plus grande partie de ce livre, est un authentique salaud. Un tueur du NKVD (ex-Guépéou, la police politique de Staline). Seuls sa femme et son fils en font un être doté de sentiments humains. Et un ou deux amis - l'un d'eux sera justement abattu sans qu'il s'y oppose, car il est persuadé, de cette manière, de protéger sa propre famille. le domaine de Victor Krebnitsky, c'est ce qui constitue l'antichambre ou bien du Goulag ou bien de la mort : la sinistre Loubianka, prison politique et centre d'interrogatoire de la dictature stalinienne, ce régime devenu dément car il ne se contente plus de mettre hors d'état de nuire ses opposants, comme le font habituellement les régimes oppressifs, il s'attaque aussi de façon arbitraire à ses propre troupes. Qu'elles soient fidèles, sincères, désintéressées importe peu : tout le monde doit savoir qu'il n'est qu'en sursis, que le monstre froid qui règne au Kremlin finira par le broyer et l'anéantir. Toute considération humaine est ici hors jeu, et la certitude même d'affaiblir l'Etat a cessé d'avoir la moindre importance : on a dépassé le cynisme pour en arriver au point où le pire est toujours sûr.

Dans un récit dense, compact et d'une violence extrême - on pourrait presque compter sur les doigts de deux mains les moments où joie ou tendresse trouvent à s'exprimer - l'auteur s'y entend pour nous plonger de force dans ce cauchemar de l'Histoire. Sa documentation est impeccable, implacable le mécanisme de son récit. Etonnamment, Krebnitsky déroule le fil d'une succession d'événements où le doute ne lui vient que très tardivement. Pourtant, lui qui a accompli des missions à l'Ouest, qui y a résidé, comment aurait-il pu ignorer que les démocraties, avec toutes leurs imperfections et leurs injustices parfois révoltantes, offrent tout de même une vie plus vivable aux citoyens ? Comment pouvait-il être assez aveugle pour ne pas voir que le "socialisme réel", toujours différé, avait cessé depuis longtemps d'être un projet pour devenir un simple slogan creux, alibi de crimes abominables ? Ce roman nous offre une belle occasion de réfléchir à l'usage terrible qui a été fait du pouvoir absolu - qui rend absolument fou - au rapport possible entre la politique et le bonheur des gens et à l'impératif de justice qui implique, avant tout, le respect absolu de la Vérité, quelle qu'elle soit.

Il serait bon en tout cas que la critique "non professionnelle" supplée à la carence de ceux qui font métier de lire des livres et d'en parler.
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