Premier roman applaudi,
Djinns a le mauvais côté de me renvoyer dans les ronces. Je ne veux pas être poukave, * comme la soeur de la narratrice, je ne veux pas tchiper* sur l'histoire de Pemba en hess, * d'autant que problèmes, elle en a méga plus que tout le monde. Elle se fait virer de son travail de caissière, il y a baston sur la place, Jimmy le voisin malade de la tête pète un plomb, Chico ultra beau avec ses yeux en amandes s'interpose, reste sur le bas-técô, et sa reum* alcolo gueule, bref, Jimmy termine au comico X, puis à l'hosto psy.
Qu'est-il arrivé à Jimmy ? Pas la peine d'écouter Madame la psy, qui torture ses lunettes, pour deviner qu'il a plusieurs djouns- le pluriel de djinn-. Pour elle, ça s'appelle schizophrénie.
Pour Mami grand-mère, les djouns sont des intermédiaires entre le visible et l'invisible, ce sont des souffles, génies ou démons, bons ou mauvais. Une sourate du Coran en parle. C'est que Mami est musulmane, elle croit aux esprits, et en particulier aux
djinns maléfiques qui sont les ennemis des hommes ; elle s'est fait initier au Gabon, elle sait donc que l'iboga provoque la mort symbolique, et ce serait LA drogue qui plonge dans un autre état de conscience, et qui, surtout, lutterait contre l'addiction des autres drogues, aidant les malades d'esprit mieux que les médicaments, donc pourrait aider Jimmy, puisqu'elle est guérisseuse.
« Dès que la substance active de la racine atteint le cerveau, elle le met en mode off, ce que Mami a appelé la mort symbolique. le corps, il meurt, plutôt il se rigidifie, le coeur bat au ralenti, le mental est paralysé, l'esprit va pouvoir redécouvrir les étapes de son histoire tout en levant les inhibitions qui jonchent le parcours. Mami elle a comparé cet état au coma mais comme elle n'a jamais été dans le coma et moi non plus, j'avais du mal à visualiser. »
Alors Pemba la narratrice se rend compte qu'entre son djinn blanc, qui voudrait donc la pousser à être adoptée par ses collègues de la supérette, et l'autre qui insiste pour qu'elle soit initiée au Bwiti du Gabon, cette société secrète dont les membres graillent* de la racine d'iboga, plusieurs djouns se bataillent en elle.
Ce qui est exactement la définition de la schizophrénie.
Car
Seynabou Sonko marie certaines croyances islamiques avec la pratique polythéiste du Gabon, et aussi avec le milieu pauvre de jeunes perdus entre leurs deux cultures, celle de là-bas, où ilsne sont pas acceptés, et celle d'ici, pas plus.
Sont-ils « possédés » ou malades d'esprit ?
Avec des jeux sur la langue (le comico !) du verlan à toutes les pages, un ton et une écriture à la fois de quartier, un clin d'oeil à
Eluard avec un chapitre intitulé « bleu comme une orange » de vieux français, d'africanisme et d'argot, le tout parfaitement élaboré,
Seynabou Sonko signe un premier roman prometteur.
Petit bémol : l'initiation au Bwiti, réservé aux hommes, dont aurait bénéficié Mami dans la forêt gabonaise, serait plutôt l'initiation au Djembé, réservé aux femmes.
Et si certains mots vous échappent, askip, * le dico est là pour ça. le comico, c'est vraiment trop drôle, ça me fait golri, je m'abstiens d'expliquer.
Allez, je suis gentille :
poukave : mot gitan signifiant cafteuse
tchiper : désapprouver en faisant un bruit de bouche
hess : volonté de nuire et dans le langage moderne: misère
reum : là, vous savez tous.
grailler : ancien français signifiant manger
askip : à ce qu'il parait