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Critique de Cancie


Deux temporalités alternent dans ce roman. Il y a le présent qui s'appuie sur la fiction, à la lisière du fantastique, avec un ingénieur mandaté pour vérifier les installations du barrage de Seyvoz et des retours dans le passé, dans les années cinquante, avec la construction de ce barrage hydroélectrique au beau milieu des montagnes alpines, au moment où la France sort de la Seconde Guerre mondiale, et où les besoins en énergie sont immenses. Sauf que l'édification de ce barrage a entraîné la création d'un lac artificiel et englouti le village installé là.
Depuis Paris, Tomi Motz est envoyé à Seyvoz pour une mission concernant la maintenance des installations. Lorsqu'il arrive au barrage où il a rendez-vous avec un certain Brissogne, le responsable de la maintenance, personne n'est là. de plus, des choses bizarres comme son téléphone qui ne capte rien alors qu'il se trouve sur le plus important site producteur d'électricité de la nation. La centrale électrique de Seyvoz serait donc une poche de territoire sans couverture réseau, une zone blanche… Étrange ! Étrange également cette Clio rouge dont la conductrice qui, après lui avoir délivré un message, s'enfuit, tout comme est bizarre l'hôtel où il est descendu.
Pendant quatre jours, cet ingénieur solitaire, mu par une sorte d'attraction incontrôlable, va donc arpenter la zone avec la sensation d'être prisonnier d'un champ magnétique étanche, sa mission perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques faisant naître chez lui des visions étranges. le réel se dérobe autour de lui et tout vacille jusqu'à sa propre raison…
Ce récit est entrecoupé de bribes du passé avec notamment l'engloutissement de ce village aux habitants peu convaincus de la pertinence de leur sacrifice.
Si j'ai été un peu moins réceptive au présent assez fantasmé, j'ai beaucoup apprécié les retours dans le passé et le rappel de cette construction du barrage de Seyvoz – barrage de Tignes en Savoie, dans la réalité.
La description du village, de la vallée et de ses habitants dans les années cinquante est particulièrement réussie et rend parfaitement compte du séisme que cela a été pour eux de devoir abandonner leur lieu de vie. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir tenté de résister !
On assiste vraiment à un combat inégal, le pot de fer contre le pot de terre, et, en avril 1952, les derniers habitants doivent quitter leur village ; ayant décidé, pour garder un lien avec l'histoire, de reproduire l'ancienne église à l'identique, ils procèdent alors à l'évacuation de leur église.
Difficile de ne pas être saisi lors de l'exhumation du cimetière à quelques jours de l'engloutissement, et en phase avec ces villageois outrés que l'on vienne déterrer leurs morts.
Une évacuation particulièrement violente marque les esprits d'alors et ce jusqu'à nos jours.
Quant au barrage lui-même, le plus haut d'Europe à l'époque, Maylis de Kerangal et Joy Sorman, racontent avec précision la construction de cet ouvrage pharaonique, l'appel à main d'oeuvre et les conditions de travail dantesques, sans oublier ceux qui ont y ont laissé leur peau, certains, avalés par ce mur gigantesque, les comparant à ces habitants de Pompéi, « ces vies solidifiées qui ne redeviendront jamais poussière. »
Elles n'omettent pas de signaler que les dangereuses conditions de travail et la volonté de faire vite ont coûté la vie à 52 ouvriers.
Le barrage fermant désormais leur vallée et allant être mis en eau, noyant leur village et leurs pâturages, c'est avec beaucoup de tristesse qu'on assiste impuissants, aux côtés des villageois au dynamitage de leurs maisons et à leur violente évacuation.
Seyvoz, bien qu'écrit par deux auteures, Maylis de Kerandal et Joy Sorman, est un roman singulier car elles ont su unir leurs voix et leur talent pour créer un roman richement documenté, d'une grande sensibilité, mélangeant savamment réel et imaginaire, ce dernier pouvant parfois prendre le pas sur la réalité.
C'est à la suite d'une proposition faite par le collectif d'auteurs, Inculte, dont la marque de fabrique est le livre collectif, que nos deux écrivaines ont relevé le défi d'écrire à quatre mains : un défi que je qualifierais de particulièrement réussi !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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