La saveur de l'interdit

L’envie de flirter dans les toilettes d’un train avec un inconnu me passe soudain. Fermez les yeux quelques secondes et imaginez qu’un homme magnifique vient de s’emparer de vos lèvres avec la dévotion qu’on porte à une déesse. Vous visualisez la scène ? Eh bien, c’est comme si brusquement on vous aspergeait ensuite d’eau glacée pour vous remettre les idées en place.

On ne sait strictement rien sur les drames, les espoirs et les joies de nos passés respectifs. Aussi bien pour « lui » que pour « moi », nos vies sont une page vierge. En dépit de ce vide vertigineux, rarement je me suis sentie aussi proche d’une personne. Il me touche et mordille mes lèvres avec une passion qui me subjugue. Invraisemblable, et pourtant… étonnamment, l’homme dont les baisers alternent délicatesse et ardeur contient la fougue de son désir.

Nous nous embrassons fiévreusement comme deux êtres éperdus de passion. La magie d’un instant immoral, nos âmes sont au diapason.
L’alchimie entre nous est parfaite.

Ce n’était pourtant pas mon genre de me laisser tourner la tête par le premier venu. Le truc avec ce mec qui avait le chic pour monopoliser mon attention, c’est que tout dans sa présence, dans sa façon de bouger, suggérait un érotisme des plus fourbes. Par exemple, le simple fait de le voir écrire sur un carnet et porter de temps à autre son stylo à sa bouche encourageait en moi les plus inavouables désirs.

Le cadre qui sert de théâtre à notre flirt n’a assurément rien de glamour. Néanmoins, je n’aurais jamais cru que l’aspect irrévérencieux d’une telle situation pouvait m’injecter une dose d’excitation.

Personne ne m’a touchée depuis si longtemps… J’avais dix-neuf ans la dernière fois que des lèvres masculines se sont pressées contre les miennes. Une éternité. Tout laisse à penser que je me trouve dans un rêve aussi érotique qu’étrange, mais il s’agit pourtant de la réalité. Le détail qui tue, c’est que mon amant et moi sommes enfermés dans les toilettes d’un TGV. Tout en s’embrassant, on se presse corps contre corps dans cet espace exigu qui cahote au gré des déplacements sur les rails.

Je n’ai pas souvenir d’avoir cédé un jour à une tentation, à l’envie d’une incartade, à un quelconque caprice… Inutile de tourner autour du pot : j’étais une jeune femme sans histoire et tellement banale que j’en devenais ennuyeuse. Mes fantasmes ? Peut-être que vous ne me croirez pas, mais j’ignorais que quelques-uns étaient tapis au fond de moi. Et je vous dispense de ma vie privée puisque celle-ci se réduisait à peu de choses, hormis une poignée de liaisons sans lendemain et dépourvues de passion.

Arrivée à vingt-deux ans, les fantaisies n’étaient guère monnaie courante dans mon quotidien. C’est triste à reconnaître, mais je n’ai jamais surpris mon petit monde. Les coups de tête aussi bien que les coups de cœur n’arrivaient qu’aux autres. Les conduites fantasques, je les vivais par procuration à travers les roucoulades de Mathilde, ma meilleure amie, qui enchaînait les petits amis. Elle était enjouée et fêtarde, à l’inverse de moi. Nous étions unies comme les doigts de la main, de vraies « sisters ». Ce n’est donc pas des conneries : les contraires s’attirent vraiment, un constat aussi bien valable en amour qu’en amitié.