Citations sur Les sirènes noires (34)
Une fois seul, le sorcier s’empressa de compter les dollars et les rangea dans une boîte. Dans quelques nuits, il irait à Bénin City se plonger dans l’anonymat de la grande ville où il connaissait des bordels qui renouvelaient sans cesse les très jeunes filles.
— Je remercie ma madam de m’avoir choisie. Je sais qu’elle va payer mon voyage et faire en sorte que j’aie un bon métier chez les Blancs. Je travaillerai dur. Je la rembourserai entièrement. Je lui dois tout.
Margaret écarquilla les yeux et se retint de respirer. Elle se dit que son jour de chance venait d’arriver. L’invocation des esprits allait la combler, elle et sa famille.
L’homme recommença son stratagème devant un autre parking. Il effectua à quatre reprises ses observations et photos à des endroits différents. Les aires de stationnement n’étaient jamais situées dans le même arrondissement, et aucune ligne de métro ou de bus ne les reliait directement. Un impératif absolu. Il savait comment fonctionnaient les flics : tout vouloir connecter, chercher des habitudes, explorer les caméras de surveillance. Du basique. Mais dès l’instant où rien ne pouvait concorder, où aucun fil conducteur n’apparaissait, ils pataugeaient. Et là, il gagnait un temps fou.
Le sorcier attira Margaret dans le cercle blanc et tourna autour d’elle, sa coupelle en main, psalmodiant des phrases incompréhensibles. Le fait d’être seule avec le sorcier dans ce banal cercle tracé à la craie lui donnait l’impression d’être entourée de murailles. La cérémonie, qui la liait à la vie et à la mort, venait de commencer.
Le sorcier se trouvait au centre d’un cercle blanc tracé à la craie qui symbolisait un univers de protection dans lequel il entraînerait la jeune fille. Il tenait dans ses mains décharnées une coupe dans laquelle se consumaient des produits à l’odeur âcre qui donnèrent à Margaret l’envie de tousser.
Si elle s’enfuyait, elle serait bannie et la honte retomberait sur sa famille pendant des générations. Margaret devenait prisonnière de la parole et de la dette de sa mère.
Margaret commençait à ne plus se sentir très bien. Elle aurait voulu être ailleurs, renoncer à tout ce qui l’attendait : la richesse, les bijoux, la maison, un mari, des enfants, un travail intéressant chez les Blancs. Elle hésitait à fuir, se demandant si ses jambes pouvaient encore courir.
Toutes ces statuettes étaient reliées à une personne qui avait sollicité le sorcier, en bien ou en mal. Surtout en mal. Margaret imagina les fonctions de ces fétiches. Et puis des tas d’autres objets, outils, couteaux, récipients, que la jeune fille se refusait à identifier, remplissaient la cabane. Un frisson de frayeur parcourut son dos. D’instinct, elle tenta de croiser les bras autour de sa poitrine, mais son geste fut bloqué par la poigne de la femme.
Margaret, impressionnée mais curieuse, détailla la pièce. Sur des étagères étaient alignés des crânes d’animaux séchés : singes, hyènes et félins. Leurs mâchoires laissaient apparaître des rangées de dents meurtrières. Des fétiches rangés sur une planche de bois semblaient prêts à prendre vie sur un simple claquement de doigts du sorcier. Sous forme de petites statuettes anciennes de bois sculpté, ils représentaient des silhouettes humaines. Certaines affublées de cordelettes nouées autour du visage, d’autres traversées de pieux plantés dans le ventre. Recouvertes d’une patine dans laquelle se mélangeait du sang, de la terre et d’autres matières indéfinissables, elles impressionnèrent la jeune Margaret.