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Critique de Seraphita


Elie, 23 ans : pour Yacef, son geôlier et tortionnaire, c'est déjà l'autre. Yacef, 25 ans, « Cerveau du gang des Barbares », selon l'expression que lui donneront les médias. L'autre – le barbare : deux hommes à qui l'on a ôté la qualité d'êtres humains. Pourtant ce seront bien deux hommes que le hasard et l'absurdité mettront en présence jusqu'à la fin, la mort brutale et insensée, pour l'un, la prison, pour l'autre.

« Tout, tout de suite » : un roman ? Comment qualifier le genre de ce livre choc écrit par Morgan Sportès et qui a obtenu le Prix Interallié ? En dépit d'un avant-propos que l'auteur a voulu explicite, je me suis posé cette question tout au long de ma lecture. A partir de faits réels sordides (« En 2006, un citoyen français musulman d'origine ivoirienne a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive » [avant-propos, p. 9]), Morgan Sportès a voulu « réélabore[r] ces faits, à travers [son] imaginaire, pour en nourrir une création littéraire, une fiction » (p. 9). Il qualifie donc son livre comme un roman. Pourtant, ce qui frappe, c'est que le ton qu'il emploie semble extrêmement réaliste et glace d'emblée le lecteur. Morgan Sportès déploie sur plus de 300 pages le déchaînement de violence qu'anime un groupe d'individus, mené par un leader que la raison a manifestement déserté, avec un luxe de détails froids et réalistes, qui donne l'impression d'assister à une autopsie glaciale - glaçante, de faits qui nous interpellent « sur l'évolution de nos sociétés » (p. 9).

Oter la qualité d'être humain à l'autre : Elie est l'autre pour Yacef dès qu'il l'enlève. En lui retirant sa qualité d'être humain, il l'a sans doute déjà condamné à mort, dès le départ. Quand Yacef devient un barbare (ainsi le qualifieront les médias), lui aussi perd son humanité. Certes, il a commis des actes sordides, destructeurs, qui, au final, ont abouti à la mort tragique et absurde d'un jeune homme. Pour autant, pour tenter de comprendre, comme a voulu le faire Morgan Sportès ici, ce que ces faits tragiques nous disent sur l'évolution de nos sociétés, il convient, dans un premier temps, de ramener le « barbare » à sa condition humaine première. Comprendre, tenter de mettre du sens (même si tout cela paraît bien insensé), ce n'est nullement cautionner les faits. C'est peut-être, au final, vouloir mettre en lumière la part obscure tapie au fond de soi-même. « Je est un Autre », écrit fort justement Arthur Rimbaud en 1871…
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