- Dans un moment, mon amour, répéta-t-elle. Dors, maintenant. Papa et maman sont là, ma chérie. Dors... tu vas te sentir beaucoup mieux, très bientôt.
Pilar sourit alors, et ce fut un vrai sourire, en dépit des tuyaux. Marc et Deanna eurent le coeur déchiré.
- Je me sens... mieux... déjà.
- J'en suis très contente, ma chérie. Et tu te sentiras encore mieux demain, maman a raison, dit Marc d'une voix très douce.
Pilar sourit encore et ferma les yeux.
(...)
Il commença à s'avancer vers l'homme, mais Deanna s'arrêta. Elle savait déjà. Elle agrippa le bras de Marc. Elle savait, et elle ne pouvait faire un pas de plus. La terre s'était arrêtée. Pilar était morte.
- Deanna, jamais plus je ne resterai sans toi. Jamais plu, tu m'entends ?
Elle se contenta de hocher la tête en souriant, et l'embrassa tandis que la main de Ben glissait lentement vers leur enfant.
"Je suppose que le mariage est une sorte d'échange, continua-t-elle. Chacun doit faire des concessions."
Mais quelle concessions Marc avait-il faites ? A quoi avait-il renoncé ?
Il serait angoissant d'être seule, de n'avoir personne qui prît soin d'elle ni du nouveau-né. Angoissant et inédit. Mais ce serait une attitude propre, correcte. Cette solitude serait différente... ce ne serait plus un mensonge. Elle demeura assise jusqu'à l'aube, à
l'attendre. Elle avait pris sa décision.
Or, il ne voulait pas la perdre, elle était sa femme et, elle lui était nécessaire, il la respectait, il était habitué à elle...
Ainsi donc, Pilar l'avait attendue; elle l'aimait encore. Il était ridicule de penser que cela dût importer en moment pareil, mais cela importait pourtant.
- que penses-tu ?
- que nous avons beaucoup de chance. Que pourrions-nous demander de plus ?
Un avenir. Mais il ne le dit pas.
- Alors, quoi de neuf ? Que dis-tu de la liberté ? La trouves-tu à ton goût ?
- Plus ou moins. En réalité, cette fois je trouve un peu difficile de m'y faire.
Ces mots étaient taquins, mais dans ses yeux affleurait la souffrance de toute une vie. La tragédie constamment cachée sous les plaisanteries.
C'est alors qu'elle avait compris ce qu'elle avait fait. Aussi bien qu'un homme, elle avait épousé un pays. Une manière de vivre.