Citations sur Voyage sentimental à travers la France et l'Italie (16)
Smelfungus revenoit de ses voyages, et je le rencontrai encore à Turin… Il n’eut que de tristes aventures sur la terre et sur l’onde à me raconter. Il n’avoit vu que des gens qui s’entre-mangent, comme les anthropophages… Il avoit été écorché vif, et plus maltraité que Saint-Barthelemy, dans toutes les auberges où il étoit entré.
Oh ! je veux le publier dans tout l’univers, s’écria-t-il. Vous ferez mieux, lui dis-je, d’aller voir votre médecin.
Mundungus, homme dont les richesses étoient immenses, se dit un jour : allons, faisons le grand tour. Il va de Rome à Naples, de Naples à Venise, de Venise à Vienne, à Dresde, à Berlin… et Mundungus, à son retour, n’avoit pas retenu une seule anecdote agréable… ou qui portoit un caractère de générosité… Il avoit parcouru les grandes routes sans jeter les yeux ni d’un côté ni de l’autre, de crainte que l’amour ou la compassion ne le détournât de son chemin.
Que la paix soit avec eux, s’ils peuvent la trouver !
Mademoiselle Jeanneton étoit fille de l’hôte ; et l’hôte s’imaginant que je n’entendois pas bien le françois, se hasarda à m’en donner une leçon. Ce n’est pas pas "tant pis" que vous auriez dû dire, Monsieur, c’est "tant mieux". C’est toujours "tant mieux", quand il y a quelque chose à gagner ; "tant pis", quand il n’y a rien… Cela revient au même, lui dis-je. Pardonnez-moi, Monsieur, dit l’hôte, cela est bien différent.
Ces deux expressions, "tant pis" et "tant mieux", étant les deux grands pivots de presque toutes les conversations françoises, il est bon d’avertir qu’un étranger qui va à Paris, feroit bien de s’instruire, avant d’arriver, de toute l’étendue de leur usage.
Un jeune marquis, plein de vivacité, demanda à monsieur Hume, à la table de notre ambassadeur, s’il étoit monsieur Hume le poète : Non, dit monsieur Hume tranquillement. Tant pis, répond le marquis.
C’est monsieur Hume l’historien, dit un autre. Ah ! tant mieux, dit le marquis. Et monsieur Hume, dont le cœur, comme on sait, est excellent, remercia le marquis pour son tant pis et pour son tant mieux.
(Traduction Joseph-Pierre Frenais, édition 1803)
Se permettre de tout penser serait manquer de savoir vivre : les meilleures preuves de respect qu'on puisse donner à l'intelligence du lecteur, c'est de lui laisser quelque chose à penser.
- Hélas, ce n'est pas la valeur de mon âne que je regrette, c'est sa perte... J'étois assuré qu'il m'aimoit...
-Tu as du moins une consolation, mon ami, lui dis-je, dans la perte de ta pauvre bête; je suis sûr que tu lui as été un maître indulgent.
- Hélas ! dit l'affligé, je l'ai cru tant qu'il a vécu, mais maintenant qu'il est mort, je pense différemment.
Je crains que mon poids, ajouté à celui de mes afflictions, ne lui ait été trop lourd, ensemble ils ont abrégé les jours de la pauvre bête, et je crains d'avoir à en répondre.
Honte au monde ! me dis-je
Si nous nous aimions seulement les uns les autres comme ce pauvre être aimait son âne, ce serait quelque chose.
Madame de Rambouillet, au bout de six semaines environ de connaissance, m'avais fait l'honneur de m'emmener dans sa voiture à près de deux lieues de la ville. Madame de Rambouillet est la plus correcte de toutes les femmes; et je ne désire pas en voir une plus vertueuses et plus pure de cœur.
A notre retour, Madame de Rambouillet me pria de tirer le cordon. Je lui demandais si elle désirait quelque chose.
- Rien que pisser, dit Madame Rambouillet.
Ne soit pas chagrin , doux voyageur, de laisser pisser Madame Rambouillet. Et vous, belles nymphes mystérieuses ! allez cueillir chacune votre rose, et effeuillez-la sur vos pas. Car Madame Rambouillet n'en fit pas davantage.
Je donnais la main à Madame Rambouillet pour descendre de voiture; et si j'avais été le prêtre de la chaste Castalie, je n'aurais pu desservir sa fontaine avec un plus respectueux décorum.
Quand mes vues sont honnêtes, je ne me met point en peine de ce que l'on peut dire.
Ce n'est rien autre que cette soif, aussi ardente que celle qui brûle la poitrine du connaisseur, qui m'a amené de chez moi en France - et qui, de France, me mènera en Italie - ce n'est qu'un voyage sentimental à la poursuite de la NATURE, et des affections qu'elle fait naître en nous, de ces affections qui nous portent à nous aimer les uns les autres - ainsi que le monde, mieux que nous ne faisons d'ordinaire.
La grisette voulut me montrer tout, j'étais difficile à contenter : elle ne voulut pas sembler s'en apercevoir; elle ouvrit sa boutique, posa devant moi toutes ses dentelles l'une après l'autre, les déplia, les replia une à une avec la patience la plus angélique, je pouvais acheter ou ne pas acheter, elle me laisserait tout au prix que je fixerai moi-même. La pauvre fille paraissait tenir à gagner un sou ou deux; et elle se dépensait en efforts pour me séduire, et je sentais dans ses manières moins d'artifice que de simplicité caressante.
God tempers the Wind to the shorn lamb.